Jura : des terroirs multiples pour un goût unique ?
Je l'ai déjà souvent évoquée au fil de mes messages, à travers les dégustations que j'ai effectuées mais j'ai voulu « enquêter » de façon plus approfondie dans le but de tenter de répondre aux questions que je me pose, et, éventuellement de vous faire profiter de quelques éléments de réponse.
Y'a-t'il un ou plusieurs terroirs jurassiens ?
Y'a-t'il une unicité du goût en Jura ?
Les relativement récentes cuvées parcellaires ouillées de S. Tissot, A. Labet, et d'autres encore, tendent à prouver qu'on peut sortir du sempiternel goût de jaune, fer de lance de la culture viticole jurassienne. Mon propos n'est pas de parler de ce produit phare du Jura, mais force est de constater que bon nombre de cuvées de blancs élaborées sur un mode oxydatif aboutissent à une uniformisation du goût, qui plaît tant aux autochtones mais qui rebute un peu l'amateur non initié, même si cela peut constituer une bonne introduction au monde du vin jaune.
Pour illustrer mon propos, après un petit rappel géologique bienvenu, y compris pour moi, je me suis amusé à voir si l'on peut dégager quelques caractéristiques liées au terroir à travers un échantillonnage (non représentatif !) de chardonnays issus de différents terroirs jurassiens.
Petit rappel géologique :
Le vignoble jurassien est planté sur une bande qui court de Salins les Bains à Saint Amour (pas celui du Beaujolais !), englobant une surface de 1700 ha sur environ 80 km de long.
De Saint Amour, au sud du Jura, à Lons le Saunier, les vignes occupent le bas des pentes du Revermont, avec une exposition générale ouest, parfois sud ou sud-ouest. Le terrain est constitué d'éboulis calcaires mêlés à des argiles du Lias, formant d'excellentes terres à vignes, pierreuses et chaudes, facilitant la maturité du raisin, qui peut devancer d'une dizaine de jours celle du nord du département. De nombreux petits villages vignerons, en appellation Côtes du Jura, constituent le vignoble ; Rotalier est peut-être le plus connu, c'est la patrie d'Alain Labet.
Vers Lons, le vignoble s'élargit, l'orientation est extrêmement variée. Le sol est composé de marnes bleues, grises ou noires du Lias. Ce sont des terres riches, profondes et fraîches qui donnent les vins de l'appellation L'Etoile et ceux d'Arlay, en Côtes du Jura.
Plus au nord, , de Voiteur à Poligny, le vignoble est planté sur des argiles du Lias donnant naissance aux vins de Château Chalon. Les blancs sont toujours en appellation Côtes du Jura.
De Poligny à Arbois, les coteaux sont constitués de marnes irisées, argileuses et compactes . Des bancs calcaires ou des éboulis pierreux s'y mêlent, sur Arbois, Pupillin ou Montigny, pour fournir les meilleures terres à vigne du Jura, exposées sud.
Le chardonnay et le pinot noir se plaisent à peu près partout. Le ploussard exige des marnes bleues et rouges, le trousseau donne son meilleur sur les sols filtrants, calcaires (ceux de Montigny, par exemple), le savagnin se régale sur les marnes bleues, de Château Chalon entre autres.
Voilà , ces quelques notions de base peuvent permettre de comprendre les différentes appellations jurassiennes et la répartition des cépages. On devrait donc pouvoir mettre en évidence des différences gustatives entre les vins provenant des différents terroirs. Ce sera l'objet de la deuxième partie de mon exposé, à venir, peut-être avant Noël si j'en ai le temps.
Références bibliographiques : « Vins, vignes et vignobles du Jura », éditions Cêtre.
Pour essayer d'illustrer mon propos, j'ai sélectionné, de façon totalement aléatoire, 6 vins de chardonnay provenant de 6 régions distinctes géologiquement (1 côtes du Jura du Sud Revermont d'A. Labet, 1 vin de l'Etoile, 1 côtes du Jura du secteur de Château Chalon, 1 côtes du Jura de la région de Poligny, 1 Arbois Pupillin, 1 Arbois), ceci afin de voir s'il est possible de déterminer des caractéristiques différentes suivant le terroir. Cette « étude » se veut juste un instantané totalement subjectif et je revendique cette subjectivité.
- Côtes du Jura 98, domaine Morel-Thibaut, Poligny :
Robe jaune pâle, nez discrètement oxydatif sur l'écale de noix. La bouche est bien équilibrée avec une pointe de gras en finale. Le côté oxydatif ne ressort que très légèrement et ne masque pas les qualités intrinsèques du vin, très peu minéral, issu en théorie d'un terroir marneux.
- Arbois Pupillin 98, Paul Benoit :
Robe jaune pâle. Nez floral, aucune note oxydative. Je ressens une plus grande minéralité en bouche que sur le vin précédent. Bonne nervosité et finale sur des notes légèrement briochées. Un beau chardonnay, subtilement équilibré.
- L'étoile 99, château de Persanges :
La robe varie peu par rapport aux précédents. Le nez est sur la réserve à l'ouverture, avec quelques notes d'herbes coupées, puis évolue franchement sur la noix à l'aération. un vin assez sec en bouche, à la limite de l'austérité, qui termine sur des notes oxydatives assez marquées. Difficile de percevoir la part du terroir dans ce vin que l'on pourra par contre trouver très typé Jura.
- Côtes du Jura 97, Caveau des Byards, Le Vernois (secteur Château Chalon) :
Le nez est frais, légèrement acidulé, sur des notes de cake au citron. La bouche est vive, agréable et bien équilibrée. Aucune trace d'oxydation dans ce vin dont le terroir laisse bien s'exprimer le cépage, à mon avis, car il me semble correspondre à ce qu'on peut attendre d'un vin de chardonnay.
- Arbois 98 élevé en fût de chêne, fruitière vinicole de Pupillin :
Nez légèrement floral et citronné. Une bonne structure acide confère de la longueur au vin. L'élevage en fût n'est pas trop perçu, harmonieusement fondu, et fait que ce vin tout à fait honnête privilégie l'expression du cépage à travers le terroir.
- Côtes du Jura 99, Alain Labet, Rotalier :
Une cuvée standard du vigneron « star » du Sud Revermont et un élevage oxydatif qui saute au nez. à‡a sent la noix fraîche à une lieue à la ronde mais pour un palais jurassien, ce n'est pas forcément désagréable. La structure de ce vin me semble tout à fait apte à « digérer » cette élevage qui ne permet par contre en aucun cas d'identifier le cépage ou le terroir.
Voilà pour la partie gustative ! Ce qui, bien évidemment, ne me permet de tirer aucune conclusion, si ce n'est que les vins élevés dans le respect du cépage sont des vins de chardonnay plus universels que les autres, plus marqués par un régionalisme qui recherche l'association avec la cuisine franc-comtoise et plus particulièrement celle avec du Comté. Difficiles à exporter, donc, et plutôt destinés à une consommation locale, autochtone ou touristique.
Deuxième remarque qui me vient après cette dégustation, échelonnée sur plusieurs semaines, c'est le niveau tout à fait correct et homogène de ces vins qui restent dans une gamme de prix inférieure à 7 euros.
Une véritable définition des terroirs se fera probablement d'elle-même, au fil du temps, lorsque l'élaboration de ces cuvées ouillées se généralisera.
Olif
Commentaires
Bonjour,
Contente de trouver votre site. Je fais des recherches sur les sols marneux dans le Jura et j'aimerai connaître la différence entre la marne bleue, noire, ...
Si vous pouvez m'éclairer j'en serai ravie. Merci et au plaisir.
Anne VERBIER
Bienvenue sur le blog, Anne. Je ne suis pas à proprement parler un spécialiste en géologie, mais je vais tenter une réponse simple qui pourra peut-être orienter vos recherches. La principale différence entre les marnes bleues, noires, grises ou rouges, c'est tout d'abord ... la couleur! Je suppose que vous vous en doutiez, si vous faites des recherches en géologie! La différence de couleur, elle, vient de l'ancienneté de la marne et de sa constitution: marnes grises du Lias, marnes irisées du Trias, marnes à sel et gypse du Trias supérieur. La différence, après, c'est que les cépages vont avoir une affinité préférentielle pour un type de sol où ils vont pouvoir s'épanouir au mieux, comme il est spécifié dans le billet ci-dessus. Voilà, je ne pense pas pouvoir vous être d'une aide plus importante!
Bonne chance pour la suite!