Aberlour, « La bouche du ruisseau qui murmure »
Petit intermède écossais en cette période de vendanges débutantes, la rencontre de L.A.C.A.V.E. avec deux représentants de la maison Pernod, venus nous inculquer quelques notions sur cette distillerie du Speyside appartenant à leur groupe, réunion suivie d'une fort intéressante dégustation des fleurons de la maison, augmentés de quelques intrus, puis d'un excellent repas concocté par notre alchimiste favori, Pierre-Yvan Boos, du restaurant L'Alchimie à Pontarlier.
Située dans la vallée de la Spey, au pied du Mont Ben Rinnes, la distillerie d'Aberlour fut fondée en 1879 par James Fleming, qui réussit d'emblée à la placer dans le peloton de tête des distilleries, en hommes d'affaires avisé qu'il était. Après plus d'un siècle d'évolution et de changements, Aberlour jouit toujours d'une aussi bonne réputation et produit un certain nombre de malts parmi le haut du panier. Son nom dérive du gaélique « Lour », qui signifie « ruisseau bavard, qui murmure », en raison du caractère tourbillonnant et bouillonnant de ses eaux, qui dévalent le Mont Ben Rinnes de cascades en cascades avant de rejoindre la rivière Spey à l'aber-lour, la « bouche du ruisseau qui murmure ».
Il est long le chemin qui sépare ce « New Spirit » incolore, un alcool brut d'alambic issu de la distillation de l'orge fermentée, du Single embouteillé! Il faut pour cela passer par deux autres étapes, l'une correspondant à de l'Aberlour de 10 ans élevé en fût de Bourbon, à la couleur paille très claire, l'autre au même orge fermenté élevé 10 ans en fût de Sherry, et qui présente alors une robe un peu plus ambrée, les deux produits seront alors assemblés 50/50 pour produire la version que nous connaissons en bouteille. Instructif de humer la différence entre les trois échantillons!
Après ces quelques notions théoriques émaillées d'exemples concrets, place à la pratique, la dégustation proprement dite:
Aberlour 10 ans
Robe paille, à peine ambrée, la résultante d'un assemblage de 50%
de fûts de Sherry et autant de fûts de Bourbon. Le premier nez est
typique de cette version, paraît-il, très caramel au lait. Le deuxième
nez, après adjonction d'une goutte d'eau, laisse apparaître la
complexité, avec une sensation très fruitée qui souligne des notes
boisées. L'attaque est ronde et suave, la finale miellée et poivrée. Un
Single harmonieux, qui monte en puissance progressivement, d'un
excellent rapport Q/P.
Glenfiddish 12 ans d'âge
Un premier intrus, dégusté dans un but comparatif. Le premier nez
est un peu piquant, sur le feu de l'alcool, mais avec une petite touche
mentholée qui permet de maintenir un certain degré de fraîcheur. Le
deuxième nez, après ajout d'une goutte d'eau, voit le feu s'assagir une
peu. L'attaque en bouche reste chaude, un peu acide, avec révélation
d'un peu d'amertume en finale, limite sensation d'astringence.
The Balvenie Doublewood, 12 ans d'âge
Un Single élevé 10 ans dans des fûts de Bourbon puis 2 ans dans des
fûts de Sherry. Le premier nez est fumé, un peu tourbé, miellé, malté,
assez puissant en fait, riche et complexe, avec apparition dans un
deuxième temps de notes de suie. Après adjonction d'eau, les arômes
évoluent vers des notes de fruits secs, de miel, de vanille. D'une
grande douceur en bouche, rond et enveloppé, c'est un Single « coup de
poing » car il ne possède pas une grande longueur. Il s'exprime dans
l'urgence, surtout en attaque, mais je dois reconnaître que j'aime
beaucoup.
Aberlour 15 ans, Cuvée Marie d'Ecosse
Une bouteille réservée au marché français, pour cause d'homogénéité
de gamme (impossible de préserver une telle qualité si les volumes
devaient être plus importants). Merci Pernod!
Les meilleurs fûts d'Aberlour 10 ans vont donc vieillir 5 ans de
plus pour produire cette cuvée (80% de fûts de Sherry, 20% de fûts de
Bourbon).
Un premier nez très Sherry, justement, sur le kirsch et la cerise
à l'eau de vie (un peu pareil, me direz-vous!), puis le deuxième nez
délivre des notes plus fruitées, vanillées, avec un peu de miel et
surtout une touche de cuir! Comme un cartable neuf à la rentrée! Rond
et ample en bouche, la finale est plutôt longue et épicée, évoquant le
gingembre. Encore une fois un très beau Malt, riche et complexe.
Aberlour A'bunadh
Prononcer [A bounache], c'est du gaélique! Un Single brut de fût,
non réduit, qui titre 59,8°. Un Single sans âge, mais d'une moyenne de
17 ans, car issu d'un assemblage entre un 22 ans et un 25 ans, complété
par un fût de 7 ans dans le but de rehausser le niveau alcoolique. Fort
joli flacon, d'ailleurs, de type pharmaceutique, pour rappeler les us
et coutumes du début du siècle où les habitants du village d'Aberlour
passaient à la pharmacie récupérer un flacon médicinal vide pour aller
le remplir directement au fût à la distillerie sise juste en face.
Le premier nez exprime à merveille tout le classicisme et la
richesse de ce Single: Toffee, Sherry et vanille! En bouche, c'est gras
et huileux, caressant, avec des arômes complexes de cuir, de chocolat,
de vanille bourbon, un peu à la manière d'un vieux Rhum, de fruits
secs, un peu à la manière d'un vieux Tokaji. Aucune agressivité malgré
la puissance de l'alcool, mais une grande maîtrise de bout en bout. Un
Single riche, ample, puissant et complexe, la synthèse de tout ce qu'on
peut espérer trouver dans un alcool de ce type. Magnifique! A réserver
évidemment à l'après dîner.
Olif, pour L.A.C.A.V.E.