L’homme est-il bon?
A cette question hautement philosophique, plusieurs réponses sont possibles suivant que l’on est (biffer les mentions inutiles) : misanthrope convaincu, anthropophage pratiquant, hédoniste pur et dur, terroiriste patenté ou vigneron exalté!
Petite parenthèse, ce titre, je l’ai emprunté au grand dessinateur Moebius. C’est celui d’une historiette de science-fiction où un humain de l’espace se fait attaquer, capturer, déshabiller et croquer une oreille par une bande d’affreux extra-terrestres, mutants, cannibales et légèrement affamés. Oreille finalement recrachée avec dégoût, ce qui sauvera la vie à notre cosmonaute mais ne rassurera pas sur la véritable qualité de la nature humaine.
Ces quelques réflexions suite à « l’état d’âme » d’Hervé Bizeul sur son passionnant blog. L’homme, le terroir, l’œuf, la poule, autant d’interrogations existentielles qui trouvent difficilement des réponses et qui font s’agiter beaucoup de langues, de plumes, de touches de clavier. Et ramènent ostensiblement à deux approches du vin que l’on veut toujours affronter, mais qui ne sont pourtant pas antinomiques, au contraire, car le plus souvent complémentaires. Un grand terroir ne suffit pas à produire un grand vin, ça, c’est une certitude, l’homme pouvant allègrement le massacrer! Comme un très grand vigneron ne produira tout au plus qu’un vin correct sur un terroir minable avec un cépage inadéquat. Vous me rétorquerez qu'un grand vigneron ne s'aventurera qu'exceptionnellement sur une terre à vaches pour y faire du vin, je suis d'accord! Mais ce qui compte, finalement, c’est de trouver un équilibre entre ces trois composants indispensables à l’élaboration du vin.
Alors quand Hervé écrit que « la Bourgogne est pour (lui) le plus grave et le plus terrible exemple de l’échec de l’Appellation d’Origine Contrôlée », je ne suis pas d’accord, car si la responsabilité de cette déroute (qui reste par ailleurs à démontrer) est en premier lieu humaine, l‘homme passe et le terroir reste, défiant les siècles. La hiérarchisation des terroirs effectuée par les moines (parce que oui, il faut bien en revenir à eux, c‘est la force de l‘Histoire, même si ça en fera inéluctablement sourire certains!) était, et reste toujours, juste. Si actuellement on ne peut pas se fier au nom écrit en gros sur l’étiquette d’un vin de Bourgogne, c’est bien parce qu’il y a des gougnafiers qui cherche à gagner de l’argent à moindre mal, vivant sur des acquits qu’ils ne méritent nullement. Tout comme Pauillac ne suffit pas à garantir la qualité des vins en Bordelais, mais il est vrai que c'est écrit en plus petit que le nom du Château! Pas assez d’Histoire, trop d’Histoire, on devrait pouvoir trouver un juste équilibre sans se renvoyer systématiquement la balle et se mettre dos à dos!
Cela me rappelle une anecdote vécue récemment en compagnie d’un collègue et néanmoins ami, Belge de surcroît (personne n’est parfait!), hédoniste et fervent humaniste, c’est à dire qu’il croit beaucoup en l’homme surtout quand il est bon vigneron. Anecdote croustillante que je m’en vais vous narrer derechef:
Fraîchement attablés devant un verre, nous discutions à bâtons rompus de l’homme, le terroir, tout ça, quoi!, ce qui fait tourner le monde du vin, en fait!
- « Allons, mon bon ami, me dit-il (dans un style pas aussi littéraire que cela, c’est juste pour rendre le récit plus cocasse), tout amateur de vin qui se respecte viendra s’enquérir chez son caviste de la disponibilité des Gouges ou des Roumier, dans le millésime 2003, et en aucun cas de vins de Nuits-Saint-Georges ou du Clos Vougeot! Que nenni, palsambleu! »
Sur ces entrefaites, deux personnes bien faites, propres sur elles, poussent la porte du caveau où nous effectuions une dégustation et s’enquièrent auprès du caviste (en vrai, de façon moins littéraire et même pas moyenâgeuse, toujours pour les mêmes besoins du récit):
- « Hola!, Tavernier, auriez-vous une bonne pinte de Clos Vougeot à nous proposer céans? »
Fin de l’anecdote croustillante, qui, allez comprendre pourquoi, me met systématiquement en joie quand j‘y pense!
Alors, me direz-vous, rien ne dit que ces deux types étaient des amateurs dignes de ce nom. Effectivement, on est en droit de se le demander, mais point de jugement hâtif sur des gens que l’on ne connaît pas! Cela prouve quand même bien la force de l’impact d’une appellation comme Clos Vougeot, qui ne devrait pas, je suis d’accord, avoir autant de disparité sur 50 petits hectares, surtout si on les compare à la taille d’un seul château bordelais (Lagrange, 110 ha, à titre d’exemple). Valoriser son patrimoine en Bourgogne passe nécessairement et logiquement par la mise en avant de ses terroirs et de son Histoire, dont on ne peut faire table rase, ce serait misère! En Languedoc-Roussillon, par contre, (presque) tout est à faire! Quel beau challenge! La Petite Sibérie est en passe de devenir aussi célèbre que n’importe lequel des grands crus bourguignons! Grâce à Hervé, c’est sûr, rendons-lui justice, même s’il n’est pas cistercien, et même pas moine non plus, mais aussi parce que c’est certainement un terroir magnifique, au sens large, avec ses caractéristiques propres qui permettent l’expression de la quintessence du grenache.
L’homme passe, le terroir reste. Alors, pour une plus grande reconnaissance, culturellement parlant, des vins, du travail des hommes, des appellations, peut-être y aurait-il intérêt à bien les mettre en valeur, ces terres à vignes, non?
Et comme à titre personnel, je suis plutôt polyvalent, je me régale aussi bien de Languedoc tombé du ciel que de Pommard et Volnay aériens!
Olif
Commentaires
"Languedoc tombé du ciel", "Pommard aérien"... Les ailes du plaisir ?...