Road-blogging en Roussillon (4):le Domaine Singla
Lorsqu’il s’est agi de peaufiner le programme culturel annuel du GJP*, le Roussillon est apparu comme une destination de prédilection. Dépaysement, soleil, mer et vin, la région avait beaucoup d’atouts pour nous séduire. Si le Clos des Fées s’est vite imposé comme l’un des domaines incontournables à visiter, par qui allions-nous donc compléter notre emploi du temps ? Beaucoup de propriétés nous tentaient, dans des styles divers, variés et complémentaires: Sol-Payré, Sarda-Malet, Casot des Mailloles, Gauby, La Casenove, Le Possible, Le Bout du Monde,… Pas facile de faire un choix ! Ce qui peut néanmoins être considéré comme un élément positif pour la région, puisque finalement, pas mal de noms sont connus des amateurs. Et puis, un nom fusa, pour ne pas dire il cingla ! Domaine Singla ! Avoir une découverte à notre tableau de chasse, cela paraissait indispensable ! Et puis, nous étions basés à Rivesaltes, ce qui était plutôt intéressant du point de vue logistique. Singla, je connaissais un peu pour avoir consulté le Blog du Domaine à quelques reprises. Un vigneron blogueur, cela faisait un deuxième argument en sa faveur, confraternité oblige ! Encore plus fort, François, éminent membre du GJP*, et garçon généreux, avec le cœur sur la main, quand ce n’est pas le contraire, ne manque jamais de nous replacer ses origines catalanes ! Et, lorsque son arrière grand-père, émigré dans le Doubs au début du siècle dernier, a ouvert une échoppe de vins à Besançon, il importait déjà des vins du domaine Singla. Le magasin fut repris et tenu par le fils, grand-père de François, jusque dans les années 50, avant de fermer ses portes. Il s’agissait donc d’une véritable affaire de famille, et pour rien au monde nous n’aurions voulu manquer cela ! La revanche de l’arrière petit-fils, en quête de ses origines !
Reçus en fin de matinée dans la cave de Rivesaltes par Laurent de Besombes-Singla, en bonne forme quand même (le vigneron avait un mariage la veille), nous avons découvert un jeune homme humble et passionnant, que rien ne prédestinait à reprendre les rênes du domaine familial. Au contraire, on a tout fait pour l’en empêcher, l’expédiant à la Capitale faire des études de droit. Il faut dire que, étant enfant, Laurent a vécu les heures noires de la viticulture en Roussillon, quand le (mauvais) vin n’était qu’un produit de vile consommation et que vigneron était quasiment synonyme de profession honteuse. Dur de révéler le métier de son père à l’école, lorsqu’on était questionné sur le sujet. Mieux valait aussi se faire déposer à 500 mètres de l’entrée, pour être sûr qu’on ne voie pas la camionnette ou le tracteur de l’exploitation. Aussi, quand l’envie le prit de tout plaquer et de revenir sur le domaine, cela ne fut pas vu d’un très bon œil. Mais Laurent a vite compris que pour sortir de l’ornière, il fallait jouer la carte d’une viticulture sincère et exigeante (une grande partie du domaine est en biodynamie), même en pratiquant des prix plutôt (très) raisonnables, afin que son vin reste un produit de consommation courante. Laurent se considère plutôt comme un « bio militant ». Une activité dont il est convaincu du bien-fondé, même si elle n’est pas totalement rentable sur le domaine à l’heure actuelle. Du coup, il ne produit que ce qu’il est capable de vendre. Le reste, c’est pour la coopérative, des raisins qui ne sont donc pas rétribués à leur juste prix, vu leur coût de production. Mais c’est quand même la revanche du fils, en quelque sorte !
Laurent pratique une vinification parcellaire par conviction, ce qui explique le nombre important de cuvées produites sur le domaine. Peut-être trop (?), mais pour l’instant, « elles sont là » et il faut bien être cohérent dans ses choix. Une découverte réellement sympathique et des vins d’un rapport Q/P exemplaire.
- Alby 2005 : grenache et syrah. Un vin herbacé et végétal, qui ne convainc pas vraiment le vigneron, il l'avoue, mais pour autant, "il est là!". Pas convaincu non plus, mais il s'agit d'une entrée de gamme à tout petit prix.
- La Pinède 2004 : grenache et carignan. Au nez, fruité un peu sauvage. Jolie bouche aux tanins soyeux.
- La Pinède 2005 : grenache, carignan et syrah (de l’ordre de 30%). Fruits noirs et épices. Un vin rond, soyeux, long, frais et fin.
- Passe-temps 2003 : 100% grenache, en vin de table. Nez sur la groseille, très frais. De la matière, mais beaucoup de fraîcheur, avec des tanins un peu fermes en finale.
- Passe-Temps 2004 : le même dans un millésime plus frais. Nez un peu lactique, fruité. Bouche plutôt harmonieuse et patinée. Beaucoup de fraîcheur.
- El Moli 2004 : 100% syrah. Robe noire, nez épicé, bouche soyeuse. Beau vin.
- La Cryniane 2004 : 70% carignan, 30% grenache noir. Un peu sauvage, velouté en bouche, une jolie expression du carignan, bien complétée par le grenache.
- Castell Vell 2004 : 100% syrah. Fruité velouté, tanins denses, soyeux, accrocheurs en finale. Une belle bouteille.
- Mas Passe-temps, Rivesaltes ambré hors d’âge : grenache, maccabeu. Robe acajou, fruits secs, rancio, rond et équilibré. 7,5€ prix domaine, une véritable aubaine. Mais il paraît que plus personne n’en veut, de ces excellents vins rancio de Rivesaltes ! Nous si!
Olif
*GJP: secte d'adorateurs de Bacchus basée sur les hauts plateaux du Doubs, mais n'hésitant pas plus que cela à en descendre pour arpenter le vignoble