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  • Une gorgée de vin de Travers

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    Travers, canton de Neuchâtel, Confédération Helvétique, est une petite bourgade d’un millier d’habitants, qui a donné son nom à un riant vallon où coulent l’Areuse et l’Absinthe, chacune dans une gorge différente. La Fée verte, un parfum d’interdit né ici il y a une paire de siècles, longtemps prohibée par la suite, a quitté la clandestinité au début du XXIème siècle, au grand dam de toute une population fière de sa production illégale sur laquelle une administration bienveillante fermait volontairement les yeux, à la condition qu’elle reste purement artisanale, malgré quelques punitions « obligatoires », pour le principe, parce qu’une « condamnation pour fabrication illégale de l‘absinthe dans le Val de Travers, ce n’était pas une honte, mais une carte de visite », si l’on en croit le juge Bernhard Schneider, officiant à l’époque au tribunal du vallon*.

    En droite ligne avec ce culte de l’interdit, Travers dispose à présent d’un nouveau breuvage non autorisé, le vin de Travers, produit hors zone viticole, issu de 400 pieds de vignes, le quota maximum cultivé à titre de consommation personnelle, et produit à partir de 3 cépages rouges (Gamaret, Garanoir, Pinot noir), dont l’assemblage complémentaire est supposé tirer le meilleur parti de ce terroir si particulier. Travers Saints  est son nom, en hommage aux habitants du lieu, les Traversins, et aussi parce qu’il est cultivé en terrasses sur un talus exposé plein sud, au pied de l’église de Travers. Une sainte exposition, à défaut d’être bénie, optimale pour espérer pouvoir faire mûrir du raisin à une altitude aussi élevée (750 mètres). Encore faut-il que Dyonisos soit de la partie et que la météo soit un peu clémente, c’est-à-dire qu’il ne gèle ni au mois de juin, ni au mois de septembre! Cette expérience viticole parfaitement sérieuse, malgré son côté folklorique et hors du commun, on la doit à Christophe Landry, un œnologue autochtone passionné, qui a fait ses classes à l’école de viticulture de Changins et travaillé pour plusieurs domaines neuchâtelois. Un souci de santé personnel lui a fait appréhender différemment la vie et l’a encouragé à aller au bout de ses convictions. Faire du vin à Travers, c’est un pari un peu fou, du fait de l’altitude et des conditions hivernales parfois précoces, mais c’est la concrétisation d’un rêve : suivre le rythme des saisons, voir la vigne grandir et se transformer dans son propre jardin, la travailler, cueillir le raisin, le vendanger, le pressurer, l’élever, le bichonner. Avec une grande ambition, celle d’être en phase avec lui-même. Ses maîtres à penser et ses modèles, il faut les chercher  de l’autre côté de la frontière helvétique, au-delà des montagnes du Jura, en Bourgogne voisine : Aubert de Vilaine, Méo-Camuzet et Sauzet, chez qui il va régulièrement faire provision de fûts d'occasion. Et puis, également à l’Est, en Valais, Didier Joris, qui a forgé le caractère de toute une génération de vignerons valaisans. Ce vin de Travers Saints, c’est sa carte de visite pour un autre projet, un peu moins fou mais tout aussi ambitieux : celui de devenir négociant suisse « haute couture », à la Tardieu-Laurent ! Et produire des cuvées sélectionnées, par achat de raisins, sur Vaud, Neuchâtel, et, pourquoi pas, jusqu’en Valais !

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    Après avoir fait le tour du vignoble, direction la "capite** des vignes", pour prendre place autour de la table et entamer la dégustation. Une grande première pour Christophe, que de soumettre ses vins à l’appréciation d’une personne « étrangère » et une grande première pour moi aussi, dont on a sollicité « le diagnostic  et l’expertise ». Pour briser la glace, on se fait la bouche avec un joli Chasselas 2005 du Domaine des Coccinelles, un domaine neuchâtelois en bio, avec lequel Christophe a longtemps collaboré, et qui est largement diffusé dans toutes les Coop du canton. Un vin net et frais, fruité, avec du perlant, évidemment, mais également de la rondeur.

    Et puis, on passe aux choses sérieuses :

    -    Pinot gris La Clavenière 2006, Neuchâtel AOC : un vin vinifié pour le compte d’un ami et élevé sur lies avec bâtonnage, dans des barriques de 2 ou 3 vins de chez Sauzet. Le nez est intense, développant un beau fruité. L’attaque est ronde, le vin s’installe en bouche, possède de la longueur et une jolie acidité finale. Riche et frais, de ce fait, une belle bouteille !

    -    Pinot noir de Concise 2006, Vaud AOC : une cuvée produite en  achat de raisins, et dont la mise en bouteilles est récente. Elevage en fût d’occasion de chez Méo-Camuzet et légère filtration à la mise. Joli nez qui pinote bien, très fin, avec une petite touche grillée et boisée, plutôt discrète et élégante. La bouche est fraîche et tonique, à la texture suave et agréable. Belle structure, très élégante, un Pinot noir en dentelles qui pourrait bien faire des jaloux de part et d’autre de la frontière.

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    -    Travers-Saints 2006 : millésime difficile et de petite maturité en Val de Travers ! Assemblage de 30% de Gamaret, 50% de Garanoir et 20% de Pinot noir. Le nez développe un petit fruité discret. Les tanins sont présents, avec un petit côté végétal et rustique, assez marqué en finale. La rondeur de l’alcool le rend néanmoins affable, atténuant la sensation d’amertume tannique finale.

    -    Travers-Saints 2005 : nez concentré, riche, avec une pointe de volatile. L’attaque est ronde et fruitée, avec une petite note de caoutchouc brûlé en finale, qui pourrait bien être la signature du Garanoir. Les tanins sont rustiques, mais bien enveloppés, donnant la sensation d’un vin bien charnu.

    -    Travers-Saints 2004 : la robe présente quelques traces d’évolution. Après une petite touche de volatile, apparaissent des notes de fleurs séchées. Les tanins sont lissés, arrondis par l’alcool. Légère sècheresse tannique finale, mais l’évolution est globalement favorable, pour un vin qui s’est domestiqué et a trouvé son équilibre.

    -    Pinot gris 2005 passerillé sur claies, La Clavenière, AOC Neuchâtel : le premier nez est boisé, torréfié, avec de l’ascescence, pas tout à fait en place. La bouche est par contre superbe, sur des notes de crème brûlée, harmonieuse et fondue, dirigée par une acidité magistrale, très longue. Petite note de mine de crayon en finale. Très prometteur, mais il faut lui laisser le temps de se fondre.

    -    Pinot gris 2004 passerillé sur claies, La Clavenière, AOC Neuchâtel : cette fois, le nez est bien net, posé. La bouche est riche, opulente et grasse, sans lourdeur, avec de la rondeur et de l’onctuosité, un peu à la manière des beaux liquoreux valaisans. Un vin qui possède du fond et de la séduction. Bravo!

    Puisque l’on attend mon « expertise », il me faut bien la donner et je dois dire, en toute sincérité, que j’ai été franchement emballé par cette dégustation.
    Si le Travers-Saints est un vin à vocation anecdotique et folklorique, on ne peut qu’être séduit par sa franchise, malgré sa relative rusticité. Une véritable prouesse pour un vin qu’on n’imaginerait pas pouvoir être produit en un tel endroit. Les Traversins peuvent être fiers de leur nouvel ambassadeur officieux, même s’il ne risque évidemment pas de détrôner l’absinthe dans leur cœur. Il s'agit d'un vin non commercialisé, mais qui n'a pas de prix, et seuls quelques privilégiés pourront un jour y goûter.

    Les autres vins vinifiés par Christophe Landry possèdent de réelles qualités, que ce soient les Pinots gris de La Clavenière (sec ou liquoreux) ou le Pinot noir de Concise. Son modèle pour le cépage: le Noirien de Didier Joris, le type de Pinot noir qu’il rêve de produire un jour ! Un vin que nous avons goûté à titre comparatif, d'une finesse remarquable, pourtant déjà approchée de près par ce 2006 de Concise.

    A Travers, 2007 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Pas mal de mildiou, et des conditions météo qui peinent à véritablement s’arranger. Les vendanges sont prévues début octobre, avec trois semaines d’avance sur le calendrier habituel, comme partout ailleurs, mais il faudrait pouvoir compter sur une belle arrière-saison. Souhaitons surtout que ce millésime soit l’occasion de l’éclosion d’un nouveau talent dans le petit monde du vin suisse. Et que dorénavant, à chaque gorgée de vin avalée de travers, l’amateur puisse avoir une pensée pour cette micro cuvée de Travers Saints.

    Olif

    * Citation extraite de "Une si longue absence" , de Didier Gendraud et Jack Varlet, Editions Tigibus

    **Petite cabane en pierres qui sert en principe de remise pour ranger les outils, l'équivalent des "cabottes" bourguignonnes. Ici, elle a été aménagée en caveau de dégustation.
     

  • Quand Mamina s'essaie à la psychanalyse culinaire...

    En véritable Madame Jourdain des temps modernes, Mamina fait de la psychanalyse dans sa cuisine sans le savoir. Elle vous cuisine les légumes au point qu'ils avouent le plus secret d'eux-mêmes, avec une technique à faire pâlir le Commissaire Moulin à Poivre lui-même, pourtant réputé savoir explorer les tréfonds de l'âme lors de n'importe quel interrogatoire, avec ou sans nerf-de-boeuf. Contrairement au policier de base, qui use et abuse de la chaise ou de la gégène, le psychanalyste aime que ses patients s'allongent avant de les cuisiner. Et Mamina aussi, qui procède volontiers ainsi, de manière instinctive, même lorsque ce n'est pas classique! Tians, patients, même technique! Poivrons, courgettes et aubergines n'ont qu'à se déshabiller, s'allonger et bien se tenir, couchés dans leur plat à tian, le divan des cuisines modernes. Mamina Freud saura bien les révéler à eux-mêmes!

    Idée de menu

    Au menu cette semaine, on aura donc un Tian couché par Mamina, couché et accouché dans la joie et la bonne humeur, suivi d'un Agneau épicé au riz parfumé et d'une Verrine mangue, fruit de la passion en dessert.

    Les épices de l'agneau et sa cuisson au vin blanc pourraient orienter vers un vin puissant de même couleur, de type Pinot Gris alsacien, ce qui ne s'accorderait pas avec le Tian, alors on s'abstiendra. Et puis le blanc, chez Mamina, il y aura d'autres occasions d'en boire, vraisemblablement! On va profiter de la présence d'une viande épicée pour ouvrir un rouge, lui aussi épicé, concentré, charnu, à la texture riche et un chouïa onctueuse, mais avec beaucoup de fraîcheur et de gourmandise. Le côté relevé du plat lui ira à merveille! Et le Tian sera très contian, euh...content aussi!

    Les Gamines, Vin de Pays de l'Hérault 2004 ( 60% syrah, 30% mourvèdre, 10% grenache), un vin du domaine de la Marfée, est disponible pour 19 CHF (un peu moins de 15€) à la Cave de Rêve de Pierre Muller, à Reverolle (Vd).

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    Olif

  • Optimisme opportun chez Stéphane Tissot

    A la veille des vendanges, l'optimisme est de mise chez Stéphane Tissot, malgré les aléas climatiques de ce millésime 2007. La morosité du début de semaine dernière a laissé la place à un grand sourire ensoleillé qui devrait permettre de redresser une situation qui aurait pu être compromise. Bien sûr, un peu de mildiou par ci par là, mais ne touchant que les feuilles du haut, que Stéphane se garde bien de rogner pour que la grappe ne profite pas trop. Rien de bien méchant, d'après lui, et je veux bien le croire tellement les raisins des Bruyères sont beaux. Un tri sera évidemment nécessaire, mais la qualité sera au rendez-vous si le beau temps se maintient comme prévu. Démarrage à la fin de la semaine en cours!

    Le vin n'est pas encore tiré qu'il faut déjà le boire, on se contentera alors des blancs 2005 en bouteilles et de quelques rouges 2006 au fût.

    - Arbois Chardonnay 2005: fin, minéral, légèrement grillé et fumé, avec une fraîcheur revigorante, voilà une entrée de gamme qui frise la perfection, un excellent rapport Q/P.

    - Arbois Les Bruyères 2005: les argiles noires des Bruyères ont donné en 2005 un vin très pur, cristallin, d'une grande droiture.

    - Arbois La Mailloche 2005: plus Mailloche que jamais, son caractère fumé, ample, avec du gras et de l'onctuosité, se développe magnifiquement en bouche pour ce qui devrait être un futur must. L'une des plus grandes Mailloche jamais produite par Stéphane.

    - Arbois Les Graviers 2005: produit sur sol calcaire, c'est la plus bourguignonne des cuvées parcellaires de Stéphane, dans l'esprit tout du moins. La bouche est d'une acidité remarquable, paradoxalement moins élevée que sur les autres cuvées si l'on prend la peine de la mesurer objectivement, à l'origine d'une grande droiture et de beaucoup de longueur. Un vin élégant et fin!

    - Côtes du Jura Chardonnay En Barberon 2005: les argiles du Lias procurent à ce vin un équilibre magique, subtil, précis, frisant la perfection. La longueur est phénoménale. Un En Barberon d'anthologie!

    - Arbois La Tour de Curon-Le Clos 2005: nez sur l'orange confite, légèrement terpénique à la manière des grands rieslings. En bouche, une grande acidité directrice et de la droiture, pour un vin parfaitement sec malgré sa richesse. L'échantillon, tiré du fût, possède encore une toute petite pointe de gaz qui accentue la tension et l'acidité. Superbe vin, probablement supérieur au magnifique 2004 regoûté précédemment sur un homard concocté par Pierre-Ivan Boos, chef de L'Alchimie pontissalienne. Avec un homard jurassien, il fallait bien un Batard du Jura!

    Pas de notes précises sur les rouges 2006 au fût, encore au stade d'ébauches, mais beaucoup de fruit et de gourmandise, notamment sur les poulsards, qui, il faut le rappeler, sont tous vinifiés sans soufre au domaine depuis 2004. Par le fait, ils sont susceptibles de nuire gravement à l'intelligence, mais ils sont sacrément bons quand même! Des trousseaux également prometteurs, un Pinot noir En Barberon une nouvelle fois très réussi, goûté en 3 versions (égrappé, raisin entier non soufré et assemblage des deux), comme à l'accoutumée, et un Arbois Pinot noir collector particulièrement réjouissant.

    Retour en cave pour apprécier le Traminer 2006, particulièrement croquant et gourmand, aux arômes muscatés et pour finir, un Opportun 2006, petit bijou opportuniste enfin en bouteille.  Ce Trousseau botrytisé et passerillé récolté en début de vendanges, j'en ai suivi la gestation à plusieurs reprises. Il est enfin prêt et il est à tomber à la renverse! Une robe légèrement rose-orangée, très claire, et une acidité tranchante en bouche, équilibrée par de jolies notes confites et rôties. Un genre d'OVNI sans équivalent au monde, à encaver pour les générations futures, même s'il sera dur de leur en laisser un peu!

    Olif