Ça y'est, je peux mourir. Pas après avoir vu Venise, un truc de belle-mère, mais pour être allé à la Romanée-Conti. Le rêve inaccessible de tout œnophile normalement constitué. Un genre de quête du Graal qui laisse complètement ébahi une fois la geste accomplie. Récit de cette journée épique, minutée comme une horloge suisse pourtant légèrement grippée à l'allumage. Finalement, 10 heures pile à Vosne grâce à l'emprunt d'un itinéraire-express. La ponctualité helvétique peut se hausser de nouveau du col.
Sur le portail rouge, anodin en apparence, deux initiales au sommet. RC. Pas besoin d'en dire plus. Cela ne peut aucunement signifier Rez-de-Chaussée. Le quidam passe devant sans même se détourner, là où l'initié se génuflexionne et s'auto-flagelle à grands coups de guide vert de la RVF sur la tête, en rêvant de pouvoir un jour y introduire ne serait-ce que le bout d'un orteil.
En attendant le chef de culture Bernard Noblet, son petit panier de verres sous le bras, et le départ pour la cuverie, précaution d'usage et passage aux toilettes. Au fond à gauche, comme un peu partout ailleurs dans le monde. Sauf qu'ici, pour y aller, on passe devant des palettes de caisses en bois estampillées "Société civile du Domaine de la Romanée Conti" et sur lesquelles on peut aussi lire "La Tâche", "Richebourg", "Romanée Conti", "Montrachet". Juste posées là, en attendant qu'un transporteur vienne les chercher. Et les expédier au bout du monde. Les toilettes, elles, sont juste ordinaires. Comme un peu partout dans le monde, d'ailleurs. Il n'est même pas écrit DRWC sur la porte.
Les toilettes, c'est juste après les palettes, au fond à gauche.
Toutes les commissions ayant été faites, y compris la grosse, celle qui consistait à régler en espèces une caisse bois tatouée 007 sur le front, c'est parti pour un endroit secret qui recèle de nombreux trésors. Les yeux bandés et à la queue leu leu .
"Je frappe au n°3, je demande Mr Noblet...."
Au n° 3, de manière totalement anonyme, dans une rue de Vosne, on trouve une cuverie. Semblable à la plupart des cuveries bourguignonnes. Petite concession à la beauté vraie: des cuves en bois, la marque des plus grands. Ici, l'on produit l'un des vins réputé être le plus cher au monde. Il vieillit en silence à la cave, avec tous ses congénères du millésime 2009. Manquent juste à l'appel les Echezeaux et le Corton, excusés pour cause de travaux.
Une fois parvenus dans le chai à barriques, le silence s'impose. Certains se frottent la moiteur de leurs mains sur le pantalon. Surtout, ne pas transpirer du front, que cela reste discret. Drôlement émouvant, quand même. La nuit, tous les chais sont gris, mais celui-là brille perpétuellement par la qualité des vins qui y reposent. Chaque fût est estampillé du nom de la cuvée qu'il contient, ce qui, il faut bien l'avouer, est très classe et particulièrement pratique pour s'y retrouver. Savoir que tous ces crus mythiques se trouvent à portée de pipette laisse rêveur. Une fois parvenu à cet endroit précis, aucun n'est inaccessible. On les goûte tous, comme on ferait de n'importe quel vin, dans n'importe quelle cuverie. La simplicité avec laquelle le visiteur de passage est reçu impressionne. Bernard Noblet, de prime abord très réservé, ne manque pas d'humour, essentiellement pince-sans-rire, incitant à la retenue réciproque tant que l'on ne l'a pas totalement appréhendé. La dégustation des 2009 au fût peut enfin commencer. D'un point de vue technique, 100% vendange entière (sauf cas particulier, selon les millésimes) et 100% fût neuf pour les Grands Crus.
Le premier coup de pipette fut pour les Grands Echezeaux. Plein, séveux, élégant et fin, il me subjugue déjà complètement, même malo non finie. Une entrée en matière de haut vol, qui laisse pantois quant à la suite à envisager. Mon Dieu, est-ce possible?
Suivant une progression logique dans la hiérarchie des crus, direction la Romanée Saint-Vivant, qui présente une structure beaucoup plus massive et imposante de prime abord. Le boisé, imperceptible au nez, se fait sentir en bouche, mais au service du fruit, qu'il vient soutenir. Équilibre frais, fin, avec un joli retour du fruit en finale, très persistant. Finalement, peut-être que Dieu existe?
Richebourg est dans la retenue. Le nez, très précis, s'ouvre sur une réduction passagère. On sent beaucoup de finesse, mais le vin est encore complètement resserré sur lui-même. La qualité des tanins ne laisse aucun doute sur celle du vin encore en devenir, qui devrait s'épanouir dans la longueur et la finesse. Sans nul doute le plus réservé de tous à ce stade, mais un véritable Dieu du stade.
Derrière, un fût qui fait Tâche! Non pas qu'il soit sale, évidemment, mais je ne sais pas m'en empêcher. Moi, La Tâche, j'en ferais bien mon vin de copain, si ce n'était le prix. Ouvert et généreux, il se donne comme pas permis. La finesse de grain est absolue, sur des notes légèrement florales, réhaussées par une pointe tonique (malo non terminée). Du bonheur déjà en fût, qui devrait se prolonger en bouteille. Mon Dieu, suis-je déjà au Paradis?
A tout seigneur tout honneur, le mot de la fin au fût de Romanée-Conti, le plus près de la sortie, en fait. Pour une fois, la malo est déjà terminée. Le seul des Grands Crus à l'avoir faite jusqu'à présent, alors qu'habituellement il se laisse désirer. Comment peut-on recracher ça, même à ce stade? Floral, fin, élégant, suave, hautement buvable. Le temps suspend son vol à nos lèvres. Le seau restera désespérément vide, même si, le fin du fin consistera à participer à l'ouillage collectif en remettant la dernière petite goutte du verre dans le fût où elle a été prélevée. Un petit geste solidaire mais méritant, que Dieu saura rendre.
Retour au domaine proprement dit, dans la salle de dégustation, pour un petit jeu de découverte du millésime et de l'appellation à l'aveugle. Comme une grosse cerise sur un gâteau déjà bien copieux, même si cela n'est pas apte à effrayer les dégustateurs besogneux que nous sommes.
- Échezeaux 1999: nez sur l'âge, à l'évolution harmonieuse. Chocolaté, un peu floral, avec encore du fruit, et des tanins "à faible niveau d'astringence". C'est à dire pas astringents du tout, en fait, mais avec une pointe d'acidité parfaitement intégrée. Long et persistant, loin de son apogée, ce "bas de gamme", dixit Bernard Noblet, un petit sourire en coin.
- Échezeaux 1990: nez fin et complexe, aérien, sur le cacao et le pruneau. Tanins tout en dentelle, fins, frais et élégants. Grande longueur, toujours sur la finesse, la signature des grands millésimes.
- Batard-Montrachet 1995: 900 bouteilles produites par an, une cuvée non commercialisée mais régulièrement proposée à la dégustation. Une vendange tardive sans botrytis, une cuvée "à l'ancienne", récoltée bien mûre, à la robe dorée par l'âge, au nez empyreumatique de vieux chardonnay, sur le cacao, la cire le beurre rance. Mais pas n'importe quel beurre rance! Un Bordier, un qui a du goût, de la personnalité, de la race et de la classe. La bouche est droite, bien sèche et minérale, s'opposant à l'exubérance et la richesse du nez, évoluant sur le beurre salé caramélisé, façon Kouign-Amann. Exceptionnel!
Gloire à Bernard Noblet, un saint homme qui préside aux destinées du cru le plus fabuleux au monde. Sans rire.
Ainsi s'achève, la larme à l'œil, ce périple à la Romanée Conti, qui compta dans ma vie d'amateur, même si je ne suis pas Romanée de la dernière pluie. Avant de mourir, en fait, j'aimerais bien avoir l'opportunité de regoûter à ces 2009 dans une petite vingtaine d'années. Si cela n'est pas trop vous demander, mon Dieu?
Olif
P.S.: la DRC fait régulièrement "portes ouvertes", en ce printemps 2009, et bon nombre de privilégiés ont pu apprécié la grandeur du cru,
ici ou
là. Les veinards!
Commentaires
JE PLEURE !
Du moment que tu n'as pas les mains moites...
putain de coiffeur !
laurent
Un lien, pour le fun, ressorti des oubliettes :
http://lapassionduvin.com/phorum/read.php?9,32369,32369#msg-32369
Tu n'es pas obligé de le garder, Olivier, ce lien!... ;-)
jke ne sais quoi dire... le rêve de tout buveur de raisins fermentés, chapeau !
Ah moi aussi La Tâche j'en aurais bien fait mon vin de copains, "si ce n'était le prix". :-) On a bien la même définition du vin de copains! Merci de nous faire partager ce grand moment d'émotion, c'est touchant et alléchant!
Dieu à tous les paragraphes...
L'Eglise devrait s'inspirer de la brutale et définitive (à condition qu'il puisse réalimenter sa Foi tous les ans au Domaine) conversion d'Olif. Il faut dire qu'une messe à la DRC, déciderait le dernier des mécréants. Et même à Vêpres, j'y vais!!!
Belle et émouvante visite!
La qualité, discrète, loin du bling-bling vulgaire à la mode.
Veinard Olivier...
http://maxfsl.perso.cegetel.net/prie2.gif
Tu t'es arrêté au Domaine du Rez-de-Chaussée pour aller
aux WC ? La belle affaire !
Bon et puis sinon sérieusement... je veux dorénavant habiter
dans le coffre de ta voiture !
Merci à toi de nous faire partager cette merveilleuse "Romanée-Contée"...
Je vois que tu as déjà écrit ton premier article pour le "guide pirate" ;o)
Y a pas, ça fait rêver !...
Bon dimanche
Bon, visiblement le lien avec mon image ne fonctionne pas. Tu peux donc effacer mon post, ainsi que celui-ci, Olif.
De grands vins en effet :
http://www.invinoveritastoulouse.fr/index.php/Voyages-dans-les-vignobles/20091207-voyage-bourgogne.html
Et notre Montrachet 2002 des amis fut bien surprenant !
Le Corton ?
J'ai réparé ton lien, Bébert. Et merci de te prosterner. Mais tu peux te relever.
NB: les smileys ne fonctionnent pas directement dans les commentaires, désolé, mais ce n'est pas de mon ressort.
Le Corton? Excusé pour travaux, Laurent. Déplacé dans une cuverie de secours, avec l'Echezeaux, ce qui fait que nous n'y avons pas goûté.
I like to be able to use some day the same "toilettes" as you did that magic day....¡ congratulations !
Un très beau billet super agréable à lire tout en retenue et en humour!
j'adore ;-)
Ne meurs pas tout de suite s'il te plaît pour continuer à nous faire partager ainsi ton émerveillement ;-)
François
La DRC produit un Corton ?
Oui, du Corton. Mais on n'a pas goûté. Je n'en sais guère plus.
Tout est expliqué ici ;o)
http://lapassionduvin.com/phorum/read.php?29,300225
Voir Naples et mourir il me semble, enfin même les grands mères savent cela!
Oui, peut-être, mais pas la mienne, paix à son âme. Il s'agit effectivement d'une déclinaison/déformation de l'expression originale "Vedi Napoli e poi muori".
C'est fou ce qu'on s'instruit via Google, quand on prend le temps.
http://www.adamantane.org/article-10183643.html
http://www.guichetdusavoir.org/ipb/index.php?showtopic=9181
Pffff même pas jaloux. Nous, on a visité l'Usine Keravi, qu'est chouette aussi
Vous êtes aussi allé à la pêche, Estèbe. On ne peut pas tout faire non plus.
ah, mon cher Olif, tu aurais pu nous appeler quand même, on t'aurait accompagné...ne serait-ce que pour trouver les DRCWC...(je l'aime beaucoup celle-ci!)...je continue à penser que s'il existe une dégustation qui se passe de commentaire...c'est bien celle-ci!
néanmoins je sais qu'aujourd'hui tu peux "léguer" tes organes, et plus particulièrement ton foie, à la science, ou bien à un musée...du vin...
a te revoir bientôt, chez nous à "La Contre-Etiquette", à Paris
amicalement,
Chris
bonjour,
je confimre ils ont bien un corton,
je l ai gouter hier sur fut, 2009.... magic!
mon pere travail a la romanee conti donc je bois regulierment c est mon vin de table!
mdr