Trilla, vignoble sain et bientôt sauf
Trilla, Haut-Fenouillèdes, 58 habitants, 1 couple d'aigles de Bonelli, 3 chênes emblématiques, 1 vignoble plus que centenaire, 1 coopérative-fantôme, victime de la crise viticole. Et, depuis quelques années, le domaine de La Boria, dirigé par Vincent Balansa, Lucky Luke des temps modernes, défenseur des vieux ceps et des bonnes pratiques viticoles. Originaire de Narbonne, formé chez les bons vignerons (Christophe Peyrus et la famille Gauby, notamment, pour qui il s'est occupé de gérer le domaine de La Soula de 2005 à 2008), Vincent est tombé amoureux de ce terroir isolé et sauvage, peuplé de mémères de carignan et grenache délaissées, souvent en route pour l'abattoir.
Depuis Trilla, vignoble d'altitude, on aperçoit au loin le pic de Bugarach. Si la fin du monde est effectivement programmée pour le 21 décembre 2012, ne devraient alors survivre que les quelques illuminés qui auront escaladé le pic au préalable. Les vieilles vignes de Trilla ne se posent pas autant de questions métaphysiques, car une grande partie devrait être sauvée du couloir de la mort grâce à l'obstination de Vincent. Et bien au-delà de la date fatidique du calendrier maya.
Si vivre à Trilla n'est pas en soi la fin du monde, le village est quand même, quelque part, un genre de bout du monde. On ne passe pas à Trilla, on y va. Et il faut même le vouloir. Ou alors se perdre. Mais quand on y est, la vue est tellement grandiose que l'on se demande pourquoi ne pas y rester. Faire le tour des vignes prend un certain temps, sans compter celui qu'il faut pour courir après Grenache, gros chien blanc aussi affectueux qu'indiscipliné. Entre les décharges sauvages, les vignes qu'on arrache ou celles que l'on a plantées dans le seul but de ne pas s'en occuper (une histoire d'encépagement global du domaine pour accéder à l'appellation Côtes du Roussillon), le paysage du Haut-Fenouillèdes mérite mieux.
Comme ces vignes arc-en-ciel, largement complantées de carignan, avec un peu de grenache blanc, gris ou noir, et âgées de plus de cent ans, qui devraient prochainement intégrer le domaine de La Boria, dès que les fonds pour les acheter seront réunis. Parce que La Boria, c'est aussi la propriété d'investisseurs, devenus co-vignerons depuis qu'ils ont décidé d'intégrer le projet. Des investisseurs d'un genre un peu particulier, limite philantrope, plutôt intéressés par l'aspect humain et la grande aventure vigneronne que par la rentabilité. Pour cette raison, ils ne regrettent rien, bien au contraire! Parce que l'histoire est belle.
Outre sauver encore et toujours "des vieilles", un des autres grands projets de Vincent est de construire un chai in situ. Ne pouvant plus bénéficier des installations inusitées de la coopérative, vendue depuis à un particulier pour en faire un hara, Vincent a été contraint de redescendre dans la vallée pour vinifier le raisin de Trilla. L'endroit idéal existe pourtant sur la route qui mène au village, au milieu des vignes, et ce sera le prochain grand chantier de La Boria. Chai moderne et fonctionnel, intégré dans le paysage, par gravité, rien ne sera trop beau pour rendre encore un peu plus de vie vigneronne au Haut-Fenouillèdes, enclave occitane en pays catalan. Les questions des vignes et du chai réglées, il ne restera plus que le cheval, à pérenniser sur la propriété, en faisant l'acquisition de Ténor, superbe percheron de 4 ans qui ne demande qu'à venir s'épanouir à Trilla. Il viendra compléter judicieusement le labour animal (déjà effectif, mais sous-traité), ainsi que celui du tracteur, effectué par un des derniers coopérateurs du cru, impliqué à fond dans le projet.
Un signe, peut-être? Le couple d'aigles de Bonnelli, réintroduit il y a quelques années à Trilla, semble avoir fait un petit. Ils étaient trois, en tout cas, à voler au dessus de nos têtes par ce beau jour de printemps 2012.
Et pour tout ça, on dit merci qui? Merci Merci, évidemment. Merci, un vin réjouissant, frais et gouleyant, cuvée emblématique du domaine, produite à un nombre conséquent de bouteilles, le cadeau idéal pour remercier tous ceux qui se sont investis corps et âme dans ce beau projet. Outre Merci, le domaine de la Boria produit une excellente cuvée Nova, qui existe en blanc comme en rouge. Alors merci aussi, mamie Nova!
Olif
P.S.: le 11 juin, ce sera la Saint Cochon dans le Haut-Fenouillèdes, à Bélesta plus précisément. Avec la présentation du millésime 2011 au milieu des vignes, du bon cochon et tout plein de bons vignerons. La Roots 66 vaut décidément le détour...