Mardi 15 mai 2012, 16 heures, Montigny les Arsures, Jura, domaine André et Mireille Tissot, la totale. Si le calendrier Maya avait eu quelques cases en moins, le monde aurait pu s'arrêter de tourner ce jour-là. Des cadavres il y a eu, mais uniquement de la capsule, du bouchon ou de la bouteille. Revue d'effectif, série par série.
Les Crémants
Ils constituent une part non négligeable de la production jurassienne, qui permet même, dans le cas particulier de Stéphane Tissot, d'assurer la bonne rentabilité économique du domaine, tant la demande est forte, y compris à l'export. Pas question pour autant de bacler le travail, ce n'est pas le genre de la maison. Au contraire, Stéphane prend même un certain plaisir à les décliner et à innover. Avec notamment la préparation d'un pied de cuve maison pour un travail en levures indigènes, qui risque de devenir prépondérant à l'avenir. Seules les cuvées d'entrée de gamme recourent encore pour l'instant à des levures du commerce. Aucune cuvée n'est dosée et il existe même une cuvée totalement décoiffante et non dégorgée, à destination du marché néerlandophone, particulièrement friand de ce genre de produit "Nature". Bande de gâtés, les Flamands, va! Les autres ne savent pour l'instant pas ce qu'ils perdent, à part un peu de mousse lors du décapsulage.
Les chardonnays parcellaires en bouteille
2010, dans le Jura, il faut bien admettre que c'est un p... de beau millésime. Beaucoup plus équilibré que 2009, comme un peu partout ailleurs, d'ailleurs. Les terroirs s'expriment de mieux en mieux. Les Bruyères et les Graviers, égaux à eux-mêmes, dans leur style respectif, Sursis (chardonnay de Château Chalon sur des terres à savagnin) en train de recoller au peloton, grâce au travail en biodynamie qui porte ses fruits depuis quelques années, mention particulière à En Barberon, future star de l'année, le Clos de la Tour de Curon 2009, presque hors concours. 2009, millésime riche, aux fermentations particulièrement longues, ce qui n'est pas forcément pour déplaire à Stéphane, mais des sucres qui ont peiné à se finir, même qu'il en reste dans certaines bouteilles. Les Graviers, particulièrement riche et opulent, ne sera commercialisé qu'après un vieillissement supplémentaire en bouteille, après les 2010. La Mailloche 2009 mailloche de moins en moins, à l'instar de 2005. Puissante et riche, avec une pointe de brett (pas évidente à indvidualiser, pourtant) qui apporte une complexité dont il serait préjudiciable de se priver. Pour parachever ce panorama des années riches, En Barberon 2003, probablement la plus magnifique expression du cru, avec une fraîcheur et une dimension exceptionnelles.
Avant de filer en cave, goûter aux 2011 et 2010 pas encore embouteillés, encore un ou deux bonus, avec cette Tour de Curon 2004, troisième feuille et premier millésime de la cuvée, tout simplement époustouflant, déjà taillé pour les siècles des siècles (amen!). Et aussi cette "petite" cuvée, assemblage de Graviers et de Bruyères 94, de l'ère d'avant les parcellaires, toujours vaillante, démontrant le potentiel des vins avant même la conversion des vignes en bio.
Les rouges en bouteille
Après avoir testé différent tonnelliers sur différentes cuvées, en cave, retour au caveau pour y goûter les rouges en bouteille, tout en grignotant quelque cochonnaille maison et/ou des terrines alchimiques au lapin ou à la joue de bœuf, car il commençait à faire légèrement faim.
Le Poulsard au DD 2011, c'est du raisin sain mis dans une cuve, et pis c'est tout. Je crois bien qu'on pourrait en boire des seaux, même avec modération. Les Vieilles vignes sont également très disertes. Les Bruyères 1999, servies à l'aveugle pour voir, ont été vues. Grandeur du poulsard bien né sur des terroirs d'envergure. Et aussi vinification sans soufre parfaitement maitrisée, sur ce cépage qui ne demande que ça. En Barberon Pinot noir, désormais 100% grappes entières, et Singulier 2010 complètent avec bonheur la gamme et permettent de tenir jusqu'au fromage.
Les savagnins
Avant d'attaquer le plateau de Comté, mise en bouche avec le Traminer 2011, toujours déroutant, qui donne l'impression de s'égarer en Alsace. La version oxydative (3 ans de voile) 2009 a particulièrement digéré la richesse du millésime, tout comme les jaunes de terroir 2005. Il ne manquait que quelques huîtres pour accompagner la Vasée et réaliser à la perfection le nouvel accord le plus tendance qui soit. La cuvée Dévoilé, du même millésime, celle qui a obstinément refusé de prendre le voile pendant 6 ans, donne un vin d'un équilibre totalement différent de celui d'un Jaune. Pas tout à fait celui d'un vieux ouillé non plus. Une cuvée sans équivalent, déjà magnifique, et qui le sera certainement plus encore dans une ou deux décennies.
Après le jaune, virage à l'orange avec le Savagnin Amphore 2010. Autre variation sur le savagnin, particulièrement originale, la macération sur peaux pendant quelques mois et l'élevage en amphores sans sulfites ajoutés, à la manière des grands vins italiens. Résultat: un vin orange aux senteurs et à la texture sans pareil. Envoûtant!
Les sucres
Ultime moment gustatif, toujours hors du commun ici, les liquoreux se déclinent en différentes versions toutes aussi passionnantes les unes que les autres. Toujours dans le genre ultra, donc du sucre, il y en a un peu, beaucoup, voire passionnément. Spirale 2007 et, a fortiori, son corollaire poussé à l'extrême PMG, s'en jouent avec gourmandise et rivalisent de fraicheur malgré leur grande concentration. L'Opportun 2006, SGN de trousseau, résultat d'un accident climatique qui ne s'est jamais reproduit depuis, évolue sur des notes complexes d'écorce d'oranges confites, après avoir été pamplemousse pendant de nombreuses années. Pour être certain que l'évolution de PMG 99 ne se fasse pas dans le mauvais sens, suite à une remarque faite après une dégustation personnelle récente, ce sera l'occasion d'en ouvrir un exemplaire n'ayant jamais quitté la cave du domaine. Rien que du fruit et de la fraicheur sur des notes de coing et de fraise. L'évolution oxydative, ici, PMG ne connait pas!
Fin de la totale, qui n'en est pas vraiment une, en fait. Titre mensonger! Manquent les Macvin et les marcs pour compléter le tableau. J'ai bien peur qu'il faille recommencer à zéro...
Olif