Breizh-moi!
Envie de Bretagne, limite en manque. La thyroïde en berne, les glandes en pente. Et, du coup, Despentes, ça en fait plus d'une. Breizh-moi! Oh! oui, prends-moi toute! Comme une voix insistante en mon phare intérieur. À une pareille invite, impossible de résister! C'est parti pour un tour d'Armorique, beurre salé, crêpes et chouchen à volonté.
Mor bihan
La petite mer a tout d'une grande. Surtout lorsqu'il s'agit de la traverser, jusqu'à Belle-Isle, la bien nommée. Comme les biscuits. Après une halte à Quiberon, via la Côte sauvage, pour être sûr de ne pas manquer le bâteau. Plateau de fruits de mer, pour une mise en condition, l'un des plus indigents jamais mangé, dans un restaurant pourtant engageant à première vue, mais dont je tairai le nom, pour ne pas faire de mauvaise publicité à tous ceux qui, à la hauteur, revendiquent le même patronyme à la gloire de l'huître. Justement, des huîtres maigres et mal ouvertes, des bulots et des bigorneaux trop cuits, des crevettes molles et une araignée insipide. Fallait-il manger les coquilles pour se sustenter..? Tout comme moi, le ciel en a pleuré toute la nuit, et le matin aussi. C'est donc sous un crachin battant, le lendemain, qu'il a fallu embarquer pour Belle-Isle. Débarquement sous le soleil, néanmoins, et première journée sous le signe de l'escapade, chère à Docadn. Randonnée en sandales et ciré pour gagner l'hôtel, de Palais jusqu'à Bangor, via l'itinéraire cyclable. Vite rattrapés par la pluie, c'est complètement rincés que nous sommes arrivés à Bangor à l'heure du déjeuner. Ne s'offrait à nous qu'une adresse abritée, au cœur du village: Le Caméléon, Restaurant-Pizzéria. La bâche abritant la terrasse réservée aux touristes, pour pratique qu'elle fût, n'engageait guère. Pourtant, à l'intérieur, le Caméléon est changeant et la chaleur d'une jolie maison bretonne nous attendait. Ça humait la bonne pizza, la bonne humeur et la convivialité. Moules-frites au menu, probablement les meilleures jamais mangées, ça rachetait de la veille au soir. Mollusques charnus et goûteux, largement parfumés d'herbes diverses, grosses frites maison servies dans un bol-cornet, bonne bière bretonne pour accompagner, avec tout ça, la pluie pouvait continuer à tomber. Mais, comme par enchantement, elle s'est arrêtée.
La Désirade est un hôtel*** plutôt classe qui louche sur le concept des chambres d'hôtes. Classé Relais du silence, il est constitué d'un ensemble de maisons bretonnes qui abritent les chambres (quatre par maison), s'ouvrant toutes sur le jardin et la piscine. La table de la Désirade est de l'autre côté de la route. Il faut faire attention en traversant. Elle possède une jolie carte des vins et propose une cuisine faisant la part belle aux poissons et aux crustacés. À l'agneau aussi un peu, dont les troupeaux paissent tranquillement au pied du Grand Phare, tandis que Laurent Voulzy chante dans ta tête: "Bêêêê-lle-Isle en Mer, Marie-Galante..."
Celui qui, à même pas 50 ans, en rentrant d'un bain de mer à la plage d'Herlin, n'a jamais mangé un homard grillé de la Désirade accompagné d'une cuvée L'Argile 2010 de la Rectorie a, en partie, raté sa vie.
Pendant que certains (trop gourmands?) s'essaient au tour du continent en pédalant, d'autres (plus raisonnables?) se sont contentés du tour de Belle-Isle, qui se fait aisément en une journée et 11786 coups de pédale exactement. De la pointe des Poulains à Locmaria, dans le sens des aiguilles d'une montre, il fallait viser juste pour casser une petite graine pendant un gros grain. A Sauzon, par exemple, joli petit village niché au creux d'un aber. Et, comme toujours dans ces situations-là, pour espérer trouver un établissement ouvert, rendez-vous sur le port, où il y a forcément un bistrot.
Le Bistrot du Port de Sauzon, sous-titré Chez Carole, est un bel endroit resté dans son jus. On y vient parce qu'il pleut dehors, mais pas seulement. On y vient pour faire la bise à Carole, imposante patronne du bistrot, que tous les locaux semblent bien connaître, on y vient pour le Ty Punch et le boudin antillais, on y vient aussi pour la friture d'éperlans et, en ce qui nous concerne, les épatantes sardines grillées dans la petite cambuse, à fond de cale. Deuxième petite adresse pêchée au hasard de Belle-Isle et deuxième satisfaction. Ça motive pour remonter sur le vélo, surtout s'il ne pleut plus.
L'un des plus étonnants produits du terroir de Belle-Isle, c'est Kaerilis, Whisky des Highlands maturé pendant quelques années sur l'île et qui y est désormais également distillé, grâce à un superbe alambic rapporté d'Allemagne. Dans la petite échope à deux pas du port de Palais, Fabien Mueller reçoit de 9h57 à 12h02 en saison, mais il peut aussi être joint sur mobile en cas d'urgence whisky ou rhum. 10h17, l'heure idéale pour une petite dégustation en attendant le bâteau. Initiales Belle-Isle, Belle-Isle en Rêve, À l'aube du grand dérangement, autant de déclinaisons du malt écossais soumis aux embruns locaux, censés apporter notes salines et iodées. Et pour finir, un petit aveugle sur un alcool blanc, au premier nez très fruité, qui délivre ensuite de fines notes de céréales maltées. Un whisky brut d'alambic, distillé il y a tout juste 3 semaines...
Penn-ar-bed
Rendez-vous sur la fin des terres, pour un G2 improvisé, une rencontre au sommet entre blogueurs de la première heure, sans # ou @ ni retransmission en direct sur Pinterest, mais avec du vin dans le verre et deux ou trois trucs dans l'assiette. Retrouvailles à Port Rhu, Douarnenez, en plein fest noz. Édouard Nenez est de la partie, ça ne rajeunit pas le fan de la première heure et demie que je suis, ardent partisan de l'extension du dolmen de la hutte. Mais non, rien n'a changé...
La suite se déroulera dans l'intimité de l'auberge des Glazicks, chez Olivier Bellin, qui a transformé en moins d'une dizaine d'années le restaurant ouvrier familial en table deux étoiles à Plomodiern, sur la presqu'île de Crozon. Une cuisine raffinée et cérébrale, dédiée à la terre et à la mer, avec le blé noir comme fil conducteur. Ça frappe très fort dès la mise en bouche.
Du blé noir, il y en a plein les verres. Mais on n'a pas été obligés de les vider. La deuxième salve d'amuse-bouche, c'est la corbeille de l'Auberge. Une sélection de petits pains maisons tous aussi bons les uns que les autres, ce qui n'arrange pas ceux qui essaient de ne pas manger de pain à table parce qu'ils croient bêtement que ça fait grossir. Mention particulière au pain noir à la crevette grise, qui, tartiné d'un peu de beurre aux algues, est un repas à lui tout seul.
Après les tartines et une paire de langoustines cuites à la perfection (dont la grosse pince, découpée au laser ou à je ne sais quel instrument de précision, permet d'en extraire facilement une chair goûteuse), le premier plat est une variation maritime d'un traditionnel breton terrien, le Kig ar farz. Le "kig homardz" laisse bouche bée, devant la précision des cuissons (mmmm, la pince..!) et l'alliance des saveurs. Le petit "mouchoir d'ananas" chipsé sert surtout à essuyer ses larmes devant tant de bonheur papillaire et culinaire.
Il ne faudrait néanmoins pas que le homard éclipse le turbot à suivre, dont la chair fond sous la langue. Pas de vin du Jura à la carte, mais un très beau Chablis 2010 de Thomas Pico, suivi d'un Ayze Le feu 2010 de Dominique Belluard. Densité et profondeur du gringet ont parfaitement épousé les formes du homard et mis le turbo avec le poisson. Pour le pré-dessert (variations glacées autour de la fraise) et le dessert (tube chocolaté au basilic, sorbet glacé banane citron-vert), Clotilde, la charmante sommelière, nous recommande un rouge. Plutôt qu'un Bourgogne de Méo-Camuzet, nous serons raisonnables et particulièrement sages, puisque La Sagesse 2009 de Gramenon fera l'affaire. Un accord royal, tant avec la fraise qu'avec le basilic chocolaté. La richesse du millésime apporte la puissance et la rondeur, sans le sucre. Superbe!
Il s'agissait du menu Plaisir, à 90€, et du plaisir, il faut bien reconnaitre qu'il y en a eu, pour un prix somme toute très raisonnable dans ce type d'établissement.
Aodoù an arvor
Trégor, Saint-Michel-en-Grève. Le soleil aussi. Préavis déposé dans les temps par Météo France. Sous la grisaille, le granit de Ploumanac'h ne parait pas si rose. Pourtant, une si belle collection de tarbouifs géants sculptés par la nature...
Côté gastronomie, tout n'a pas été rose, par contre. Il a fallu quelque temps pour trouver ses marques. Au Tire-Bouchon de Lannion, un samedi soir, l'une des rares adresses tentantes repérées après un tour de centre ville, une carte alléchante, genre bistronomique. Finis les ormeaux depuis la veille, pas de chance. Noix de Saint-Jacques à l'andouille de Guéméné feront l'affaire, même si on sent une cuisine légèrement au-dessus de ses moyens. Plutôt sympa, finalement, mais une carte des vins insignifiante. Rejoué la carte Bistrot du Port, à Ploumanac'h, en milieu de randonnée, mais avec un petit peu moins de bonheur cette fois. Une originalité: la carte présentée sous forme de Gazette, avec pas mal de choses à lire sur les petits potins de la région. Les huîtres et bulots sont corrects, sans plus, le Muscadet au verre insipide, on ne connaitra jamais sa provenance. Ce sera sans conséquence.
Étape culturelle et instructive que cette halte en Côtes d'Armor, qui a permis de suivre la Menhir Parade itinérante à Lannion, avant une sortie en mer à l'archipel des 7 îles, un grand moment ornithologique avec fous de Bassan et macareux en pleine forme, sans parler des phocidés, prompts à se faire bronzer sur le premier rocher venu. Une bien jolie balade en mer, qui permet d'apprécier les rochers du chaos de Ploumanac'h sous un angle maritime au retour.
Le gros plaisir gastronomique de cette Côte de granit rose viendra de Trébeurden, à La Tourelle, qui offre une vue panoramique sur le port, à peine parasitée par une verrue architecturale délabrée qui traîne depuis 30 ans environ, et surtout très appéciée lorsque le premier rayon de soleil estival de la saison fait son apparition. La Tourelle, tenue par Laurent Rouvier, vaut le détour. Pour ses fruits de mer, ses ormeaux, sa carte des vins dont on a extirpé un Riesling 2010 d'André Ostertag "Vignoble d'E" (après un excellent Gewurtz VT Fronholz 2007 proposé au verre à l'apéritif) et un Morgon 2010 de Marcel Lapierre.
Il-ha-Gwilen
Ultime étape bretonne avant le retour, Cancale, la pointe du Grouin et Saint-Malo. Un petit bout de côte bretonne que je méconnaissais et qui m'a beaucoup plu, à défaut qu'il ait beaucoup plu, mais quand même un petit peu. Cancale, jolie petite ville où il a fallu jouer une nouvelle fois la carte du port pour trouver un peu d'animation culinaire. Port de la houle, ce n'était pas encore la foule en ce début juillet. Une adresse dédiée à l'huître, ce qui est bien la moindre, et qui devait nous racheter de la déconvenue initiale du séjour. L'avantage ici, c'est que les huîtres viennent en direct du producteur et qu'il y a, en théorie, moins de chance d'être déçu. Une douzaine de N°2, qui valait bien des N°1, d'après le serveur. Certaines un peu laiteuses, c'est de saison. On y perd en vivacité iodée ce qu'on gagne en onctuosité crémeuse, mais elles sont bonnes. Le verre de Muscadet sans nom servi avec ne mérite pas qu'on le retienne, c'est aussi bien.
La pointe du Grouin n'en manque pas, de groin. C'est un pic, c'est un cap, que dis-je, c'est un cap, c'est une péninsule! C'est très touristique, mais c'est surtout très joli, tout comme le retour sur Saint-Malo par la côte. Terminus Rothéneuf, pour une dernière nuit bretonne dans une chambre d'hôte qui louche vers l'hôtel. Villa Esprit de famille est le nom de cette immense villa ancienne, rénovée avec goût, et qui abrite quelques chambres et même un gîte. Le petit déjeuner est royal, avec toute une série de petites confitures maison à se damner.
Le soir, il était prévu de manger aux Buveurs de Lune, la seule adresse bio/nature repérée sur le net avant le départ et que l'on se réjouissait de découvrir. Malheureusement, les Buveurs sont fermés les soirs d'éclipse. Et aussi les lundi et mardi. Toute l'année, juillet compris. Comme s'ils ne savaient pas que, nous, on est en vacances tous les jours! Désireux de rester dans un esprit bistrot, c'est Intra Muros que l'on a trouvé notre bonheur. Le Bistro de Jean nous a alors sympathiquement accueilli. Une jolie carte, tournée vers la mer, mais avec quelques classiques "bistrot", comme une terrine maison. Les filets de sardines marinés sont tout simplement excellents, le poisson à suivre plutôt pas mal, malgré une sauce un peu chargée. Le service est agréable à tous points de vue. Seul bémol, la carte des vins est un peu déprimante, ce n'est pas ce soir-là qu'on aurait pu décrocher la lune en buvant.
Fin du Breizh tour, pour le meilleur, et (pas trop) pour le pire. Alors, heureuse?
Olif
P.S.: pour tout savoir sur Édouard Nenez et ses Princes de Bretagne, ou juste comprendre un petit peu la foi qui les anime, il faut avoir regardé l'Île aux choux-fleurs.
Commentaires
On s'est raté de peu à Crozon!!
Une autre fois qui sait!
Belle balade. Cela donne envie au Breton devenu Comtois :-)
Juste une petite rectification. Pour aller à Belle-Isle, pas question de traverser la "petite mer" qui désigne le Golfe du Morbihan. Belle-Isle c'est déjà l'Atlantique.
Merci pour ces précisions, François. L'océan, si j'ai bien compris, c'est mor braz. Mais comme le département, c'est le Morbihan, j'ai eu un peu de mal à m'en sortir pour mon intro...
Je me souviens d'un d'un kouign aman dans la pâtisserie du port de Quiberon. Il y avait file d'attente devant , c'est déconseillé par tes confrères mais que c'était bon!
De la pluie?!... Quelle pluie?...
Merci pour vos chroniques ! rafraichissantes, intéressantes ... une véritable invitation au voyage !