Faim de terroir!
Terroir: gros mot, avec plus ou moins de choses dedans. Le monde entier nous l'envie, mais personne n'a encore réussi à se mettre d'accord sur ce que c'était exactement.
Dans les mains, deux types de sols argileux jurassiens, distants de quelques mètres l'un de l'autre. Trias contre lias, qui donneront naissance à des vins différents ...
Une définition qui ne sort ni du Littré, ni de la cuisse de Jupiter, ni même du cerveau d'un sbire malengroin soit-disant amoureux de presque tous les plaisirs de la vie. Certes, le terroir, ça ne se mange pas, mais la terre, par contre, ça se palpe, ça se goûte et ça se hume. Et le climat, au sens bourguignon du terme (un lieu géographique, une exposition, un sol (un endroit quoi!, que l'on peut caractériser par un certain nombre de critères, distincts de ceux de la parcelle voisine), ça se ressent et ça se vit, autrement qu'en pointant son groin au-dessus d'un verre Inao. Pour ça, il faut savoir enfiler une paire de bottes, arpenter les rangées de vignes ou escalader les coteaux. Et tailler un brin de causette avec le bipède parfois bourru qui les cultive, lui-même également chaussé de ses bottes en chameau ou en tout autre animal avec plus ou moins de bosses. Avec un peu de chance et un bon microscope, on pourra même rencontrer, au détour d'un couloir, des levures, ces micro-organismes qui veulent du bien au bon raisin, pour peu qu'on leur laisse faire leur travail correctement, sans les asphyxier à grands coups de viticulture délétère. Un choc frontal levurien, c'est justement ce qui est arrivé à Lilian Bauchet l'autre jour, alors qu'il fouinait dans les allées de la cave de son Château des Bachelards et qu'il est tombé sur un bon gros paquet de levures qui s'agitait dans ses cuves. De source sûre, il a appris dans le même temps que le goût d'un vin, c'était à 40% le terroir et à 60% les levures. Tuer la levure, c'est tuer le terroir, un peu. Alors, oui, faim de levures indigènes, faim de terroir, soif de vins qui ont d'la gueule, élevés en ciment, en amphore, en cuve béton ou en barrique (pas trop neuve de préférence). De belles tronches de vin qui devraient bientôt avoir leur guide, qui justement n'en est pas un. Tout au plus quelques pistes à suivre, à l'intention de l'amateur curieux susceptible d'être intéressé par ces tranches de vignes, à la découverte d'artisans-vignerons parfois forts en gueule, et de leurs vins, qui n'en manquent pas non plus.
Tiens, en parlant de château (mais pas celui des Bachelords), voilà que les Wine Industries américaines veulent s'emparer de la dénomination "Castle" (en anglais dans le texte, mais en français sur les étiquettes) pour fourguer plus facilement leur merde à boire aux Européens peu regardants sur la qualité, mais facilement impressionnés par un nom qui en jette. Les Bourguignons seraient également dépouillés de l'usage restrictif de leurs lieux clos. Une concurrence totalement déloyale, quand on connait la signification viticole de ces deux termes, dont la mention sur une étiquette se mérite, sur des éléments précisément définis dans un cahier des charges censé être strict. À Pomerol, la famille Laval-Techer, avec son Château Gombaude-Guillot et son Clos Plince, n'a pas fini de trinquer. Une double peine parfaitement injuste, mais, surtout, un sentiment d'inégalité vis à vis de tous ceux qui se donnent la peine de faire vivre un lieu en le respectant, tandis que d'autres accapareraient ce privilège sans le moindre effort, dans la seule optique d'un profit facile. Ceux qui estiment qu'ils s'agit là d'une simple broutille (les mêmes qui s'agenouillent, fesses en l'air, pour acclamer les financiers de tout poil, aux yeux bridés ou pas, qui s'achètent à grands coups de millions un domaine bien plus gros et bien plus cher que celui du concurrent) arguent que les meilleurs châteaux ne daignent même plus s'appeler "château" pour vendre. Pétrus, Cheval-Blanc, Lafite n'ont nul besoin d'accoler une bicoque, aussi prestigieuse soit-elle, à leur nom, tout comme ils ne communiqueraient pas sur l'agriculture biologique, comme n'importe quel paysan ou roturier, si, par bonheur ou dans un seul souci de prestige, ils se convertissaient officiellement au bon sens. D'autres pensent que les châteaux américains, dysneylandais ou espagnols tiennent la dragée haute aux masures bordelaises, question architecture, et que les conneries brimantes à la française, ça commence à suffire. On les suivrait bien volontiers sur le terrain de l'insignifiance du marketing chatelain (qui, parmi les amateurs, a encore vraiment envie d'acheter du Château Bordeaux?), mais de là à cautionner, par soit-disant esprit d'ouverture, un tel nivellement par le bas au profit d'une industrie pinardière cocacolière..!
Le Clos du Moucheron, à Calce. Un véritable clos qui n'a même pas besoin d'être revendiqué. L'amateur avisé sait en déceler toute la classe, rien qu'en mettant son nez sur un vin de Jean-Philippe Padié...
Alors oui, au final, le vin doit plaire à celui qui le boit. Et s'il ne plait pas, il n'y a qu'à le remettre dans la bouteille. Mais, il n'est pas si surréaliste que ça de voir plus loin que le bout de son verre. Savoir comment le vin a été élaboré, qui l'a vinifié, dans quel contenant, par quelle méthode, dans quel château ou quel clos, ne peut qu'aider à sa compréhension. Le jour où les amateurs de vin, a fortiori ceux qui s'estiment dégustateurs, y compris les professionnels, arrêteront de se regarder le nombril et de ne raisonner qu'en fonction de de leur ego surdimensionné ou de leurs goûts bien souvent calqués sur l'avis de critiques qui se considèrent comme les seuls qualifiés à émettre un avis autorisé, ... euh ..., eh! bien, ... ce jour-là est loin d'être arrivé, en fait!
Olif
P.S.: le 11 novembre, à Latour (pas le château qui ne tient pas plus que cela à porter le nom de sa bicoque, mais celui de France), tout le monde est invité à venir signer l'armistice autour d'un verre, en évitant soigneusement les dépôts de gerbe en fin de journée. Tous les vignerons du village, avec quelques amis triés sur le volet, invitent à célébrer ce beau terroir du Haut-Fenouillèdes à grands coups de dégustation, d'exposition et de déambulation artistique. Qu'on se le dise!
P.S.2: les Tronches de vin ont pris un certain retard dans leur élaboration, pour des raisons de force majeure. Il va falloir patienter un brin avant de pouvoir les admirer au grand jour!
Commentaires
Bon article pour la defense des terroirs, des vins de terroir et des vignerons qui font des vins de terroir. C'est provoc mais ca fait du bien.
Pour sur, la situation a` Bordeaux est catastrophique. Le Medoc ressemble a` Dysneyland et ses vins au Coca-Cola. C'est un genre mais force est de constater que le mauvais gout marche a` fond avec les nouveaux marches. C'est le marketing de masse, les vins se vendent comme les sacs ou les montres bling-bling. La marque avant tout.
Vous avez aussi raison de denoncer la presse qui fait la promotion de ce mauvais gout (classement GC St Emilion, foires aux vins, notes sur 100 de Duchnoc, etc...). Tout pour ne pas parler du vin et le ramener a` un produit mediocre et uniformise' de grande consommation.
Merci donc de defendre les vraies histoires de vin et de vignerons.
Techniquement: vive les cuves beton, les levures indigenes, les sols vivants... mais a` mon avis les aromes purement fermentaires, c'est pas tres terroir non plus. Votre 60-40 je doute que ce soit pour les grands terroirs.
Voila qui fait du bien à lire Olivier, à l'heure ou certains "Bons vivants" tendent à dire presque le contraire... ;)
Joli article, Olif, et pour l'heure, "Terroir" ne se traduit pas en anglais ...
pour ce qui est du dimanche 11 novembre à Latour (de France) où se tiendra le premier "salon portes ouvertes" de cette toute nouvelle association de vgnerons de terroir : eh bien j'y serai et penserai bien à toi !
Malengroin ? Ce médicastre dispense ses diagnostiques et toques dans un hédonisme de lui-même qui pour toute turgescence n'a de verge que celle dont on le bât, tous les dégoûts sont dans la nature (et, y compris au, "lycée de versailles"...). Et c'est pourquoi cette dame n'a que faire des impétrants qui turbinent de la tronche un peu trop grââââve et tout autant dispenses des anathèmes vineux sur fond de cloaque d'élevage, cette boue de lies qui n'a d'audace qu'en certains lieux. Trop certains pour ne pas, somme toute, s'assimiler au récipiendaire de l'envoi.
Pour les uns les châteaux les clos... aux autres le bac à sable, la chapelle et autres bauges sulpiciardes.
Salut aux bons apôtres.