Chapitre 1
Ici commence la Loire, celle aux 3 vignobles, spécificité du 4-2, département de la région Rhône-Alpes. L'un d'entre eux regardant trop ostensiblement le fleuve Rhône pour revendiquer le statut de Ligérien, les deux autres, Forez et Roannais, situés en rive gauche du fleuve Loire, se sont regroupés pour faire cause commune: valoriser leur production et mieux se faire connaître. Il faut dire qu'ils ont beaucoup de choses à partager. À commencer par l'encépagement traditionnel et quasi exclusif, à base de gamay, planté sur des sols granitiques ou d'origine volcanique. Ainsi qu'une IGP commune pour les blancs, qui s'en trouvent là bien honorés: Urfé. Toutafé! Un pays qui fait le lien géographique entre Montbrisonnais et Roannais, haut-lieu romanesque des amours d'Astrée et de Céladon, héros du chef-d'œuvre à tiroirs de commode du XVIIème siècle signé Honoré d'Urfé, un roman-fleuve fondateur abreuvé aux sources de la Loire.
Quand on commence à forer le basalte dans les monts du Forez, que ce soit à Saint-Galmier, Saint-Romain ou ailleurs, même à Saint-Alban en Roannais, on finit généralement par trouver de l'eau. Minérale, naturelle, pétillante, pas du style de celle que l'on met dans son vin. Pourtant, ce dernier n'est jamais loin. Sur ces sols granitiques des contreforts du Massif Central, le gamay est à la fête. Depuis des millénaires, même s'il a bien failli ne pas survivre à la crise du phylloxéra et aux ravages de la première Guerre mondiale. Les premiers cépages blancs sont venus lui tenir compagnie depuis une trentaine d'années, apportant un brin de diversité à l'encépagement en même temps qu'une plus large palette de couleurs. Vignoble ancien, certes, mais dynamique. Et un peu bio aussi, puisque la proportion de surfaces cultivées, Forez et Roanne compris, doit approcher les 20% en bio, chiffre sous toutes réserves, puisque estimé approximativement en fin de soirée, néanmoins par un vigneron expert en calcul mental. Une dynamique plutôt positive, donc, même si l'on peut regretter l'absence d'installation récente sur les deux appellations. La moyenne d'âge des vignerons restant néanmoins relativement basse, il faut espérer que les émules ne tarderont plus à suivre.
Blancs, bulles et curiosités
Côté blanc, Urfé a montré ce jour-là une belle homogénéité qualitative dans la diversité. Diversité des styles et des cépages. Quelques vins trop sulfités à mon goût, d'autres un peu trop élevés, mais, globalement, une plutôt bonne impression. Si le chardonnay fut le premier cépage à s'imposer, il voit désormais son hégémonie largement concurrencée. Le viognier a actuellement la cote, venu tout naturellement de la Loire rhodanienne toute proche. Et il faut bien reconnaître que nombre de ceux goûtés possédaient du peps et de la vivacité, sans le caractère mou et alcooleux volontiers inhérent au cépage, lorsqu'il est récolté à maturité avancée dans des contrées un peu trop chaudes. Et puis, on trouve également du pinot gris, de façon un peu plus marginale, même s'il s'épanouit plutôt bien sur le sol granitique, de la roussane, de l'aligoté et même du gewurtztraminer, à l'essai chez quelques vignerons aux affinités alsaciennes. Un peu à part, quelques curiosités excitantes, des hybrides producteurs directs comme le rava6 ou le seibel 54/55, dont le GAEC du Pic s'est fait une spécialité. Ne manque peut-être en fait que le chenin, pour finir de raccrocher les sources de la Loire à son embouchure...
Quelques vins du millésime 2012, particulièrement remarqués lors de cette balade en pays d'Urfé: Chardonnay Aris du domaine des Pothiers, Roussane de Madonne du domaine de la Madone, Aligoté Éponyme de Vincent Giraudon, Pinot gris Hors piste du domaine des Pothiers, Viognier de Petite Vertu d'Odile et Jacky Verdier-Logel, Viognier De butte en blanc du domaine Sérol, Rav par 6 de Vin & Pic (une curiosité complètement atypique à la folle originalité)...
Et puis quelques bulles, pour terminer. Des pétillants naturels rosés élaborés avec du gamay, évidemment, souvent peu alcoolisés (moins de 10°) et possédant plus ou moins de sucre résiduel, plus ou moins bien intégré. Ribambulles du domaine Verdier-Logel, Bulles by Romain Paire et Turbullent de Stéphane Sérol remportent la palme, avec un équilibre plutôt bien balancé.
Chapitre 2
Ici recommence la Loire. Résumé des épisodes précédents: après avoir été accueillis à l'Auberge de la Césarde, au pied du château de Marcilly-le-Châtel, la bien nommée, par une grosse poignée de vignerons forézo-roannais, une première série de blancs, bulles et curiosités nous fut servie à la volée, avec quelques tranches de saucisson du cru et de la fourme locale non labellisée Montbrison, mais sans doute bientôt. Elle le mérite, dans tous les cas. Bienvenue à ce nouveau futur producteur, Bertrand Griot de la fromagerie des Tarines, à Saint-Bonnet le Courreau. Les conditions étaient donc réunies pour une véritable synergie gastronomique qui allait se prolonger jusqu'à tard dans la nuit (voir paragraphe suivant).
Forez et Roanne passent à table
Ils en avaient encore des choses à nous dire, ces vins du Forez-Roannais, mais il a fallu pousser jusqu'aux portes de Saint-Étienne pour se mettre à table autour de quelques flacons plus anciens. Des vins sélectionnés au préalable et destinés à s'accorder aux mets raffinés de Christophe Roure, MOF et cuisinier artistique au neuvième.
Point de culte de la Bande Dessinée à l'intérieur de cette ancienne gare aménagée en restaurant**. Uniquement une passion entièrement vouée à la gastronomie, plutôt considérée comme un dixième art potentiel, sauf du côté de Saint-Just-Saint-Rambert. Trop à l'étroit dans ces murs joliment rénovés, Christophe Roure ne voudrait pas rater le train de la troisième étoile et il est annoncé au cœur de la capitale des Gaules pour franchir le palier. Un véritable challenge à relever, quand le contrôleur criera en voiture!
Le menu du 19 septembre 2011, spécialement élaboré à notre intention à la demande des vignerons du Forez-Roannais, fut l'occasion d'un festival accord mets-vins. Une fois les vins choisis lors d'une dégustation de sélection impitoyable, organisée par les vignerons eux-mêmes, en compagnie du Chef et de son sommelier, les plats furent pensés en fonction de ceux-ci. Une belle occasion pour Christophe Roure de montrer toute l'étendue de son talent. Amuse-bouches ludiques (amusante sucette de tomate cerise acidulée, qui explose dans la bouche, épatant œuf de caille au nid, à gober tout entier, audacieux aligot de vieux Comté et chou-fleur frit), première entrée sophistiquée (homard et gnocchis de calamar, rafraîchis de tomate et de pastèque), deuxième entrée plus rustique mais hyper novatrice (œuf d'une heure dans un exquis jus de chou rouge avec ses mouillettes de merlan de ligne, qui renvoient Captain Iglo dans ses 22, voire bien plus loin encore), viande locale originalement travaillée et impeccablement cuite (bœuf légèrement fumé aux baies de genièvre, risotto de racines, pommes soufflées aux épices), desserts superbement exécutés (gâteau de semoule à la fleur de sureau et coulis de fraise, travail autour de la pêche "façon Melba") et même encore un peu de place pour les mignardises...
Parmi les différentes cuvées dégustées, deux bouteilles particulièrement marquantes ont accompagné le repas et réalisé, en outre, de sublimes accords: Les Millerands 2010 de Stéphane Sérol, une cuvée roannaise pleine, concentrée, mais épanouie, exclusivement issue de raisins millerandés, et La Volcanique 2008, du domaine Verdier-Logel, un gamay forézien sur basalte, dense, épicé et acidulé.
Forez-Roannais, blancs comme rouges, sont des vins de gastronomie, c'est une certitude. Le mot de la fin (de cette deuxième partie), ce sera celui d'excuse de Benjamin Roffet, MOF, Meilleur Sommelier de France et enfant du Forez, qui devait se joindre à nous pour la soirée, mais qui avait piscine ou un autre truc plus important pour expliquer son empêchement:
Chapitre 3
Culte ancestral de la bouteille de vin au Prieuré de Saint-Romain le Puy
Le vin qui tombe à pic
Ici débute réellement la Loire, juste après qu'elle ait été Haute. Nous sommes au sud de l'appellation Côtes du Forez, quasiment aux portes de Saint-Étienne. Saint-Romain le Puy, sa source Parot d'eau minérale, son prieuré, son pic de basalte, sa source Mondon de vin minéral. C'est en 1974, à peine un siècle après que François Parot ait découvert sa fameuse source dans le basalte des Monts du Forez, que Fernand et Daniel Mondon ont créé le GAEC du Pic, bien décidés à faire revivre la vigne dans ce pays d'eau et de volcans qui ne s'éveilleront plus. En 1997, grâce aux deux frères, soutenus par la commune de Saint-Romain le Puy, le vignoble disparu du Pic fait sa réapparition. La première guerre mondiale avait eu raison de lui, après que le phylloxéra l'eût passablement ébranlé. Un véritable travail de titans paysagistes, sous la protection bienveillante d'Aldebertus, premier Prieur de Saint-Romain en l'an 1007, qui aurait sans doute apprécié de voir refleurir la vigne sur les superbes coteaux en terrasses surplombant la plaine du Forez. Peut-être n'a-t-il pas encore assouvi complètement sa soif de "vin de nuyt", dont il est fait mention dans des archives de 1238.
À la recherche des meilleurs raisins à réintroduire sur ce terroir basaltique, outre le gamay et le chardonnay, les frères Mondon, rejoints en 2006 par Laurent Demeure, se sont tournés vers les cépages rhodaniens de la Loire, viognier et syrah. Bon choix! Pour ce qui est du viognier, en tous cas (pas goûté à la syrah). Sur ce terroir volcanique, il érupte et parvient à garder une fraîcheur et une vivacité agréables qui stimulent sa tendance à faire du gras et de l'onctuosité. De l'immédiate Aldebertus à l'opulente Diana, le viognier du Pic se fait séducteur.
Et puis, poursuivant les expériences qui les ont conduit à planter sur leurs parcelles différents cépages que l'on peut qualifier d'exotiques, notamment des hybrides producteurs directs, on trouve désormais sur le Pic des accents alsaciens, représentés par du gewurtztraminer, désormais rentré en production. Il faudra attendre encore un peu avant d'y goûter en bouteille.
Cette jolie balade matinale des gens heureux sur le Puy de Saint-Romain, juste avant la pluie annoncée, nous a été contée par Pierre Rolle, le nouveau membre du GAEC du Pic, digne successeur de Daniel Mondon, pour qui l'heure de la retraite a sonné.
Le Forez, eau, vins et paysages qui tombent à pic...
Chapitre 4
Ici se poursuit la Loire. Dans un paysage bucolique et pastoral, initialement voué à la polyculture. Le fleuve Loire ne passe pas très loin, mais ses rives sont désormais désertées par la vigne. La ville n'est pas bien loin non plus, vouant un culte à la gastronomie. Longtemps préservé du fait d'un relatif isolement, le Roannais a fini par être lui aussi atteint par le phylloxéra. Son vignoble a alors fondu comme peau de chagrin, avant une lente reconstruction, en synergie complète avec le Forez voisin, qui s'est concrétisée par la création récente de l'Association des vignerons du Forez-Roannais, en charge de la gestion des deux AOP (Côtes du Forez et Côtes Roannaises) et de l'IGP commune (Pays d'Urfé). 150 hectares, d'un côté, 215 de l'autre, des sols superposables, malgré quelques particularités, et un cépage commun pour les rouges: le gamay. Ou plus exactement les gamays, dont il existe ici plusieurs variétés, la plus singulière et représentative étant le Saint-Romain, aux petites grappes serrées, poussant bien droit, donnant des vins épicés et poivrés au grain serré.
C'est à Villemontais, au sud du vignoble roannais, au domaine des Pothiers, que s'est déroulée la dernière partie de ce périple aux racines de la Loire. Chez Denise, Georges et Romain, les trois qui font la Paire.
Au pays du gamay, du charolais et du poivre
Immersion totale en cuve de gamay. Un aperçu quasi exhaustif de 2012 à l'horizontale. Qui a bien fait ressortir le caractère très poivré de ce gamay de Loire, qui le distingue nettement de son homologue beaujolais. Rarement je n'ai perçu de façon aussi nette des notes de poivre blanc dans un vin. Qui, du coup, appelle irrésistiblement à table le charolais, dont l'aire de production commence également tout près.
Quelques cuvées particulièrement remarquées lors de cette grande dégustation: les 3 cuvées présentées par le domaine de la Madone, dont Migmatite, coup de cœur absolu (de l'extrait de poivre blanc qui vient relever un très joli fruit), Caractère du GAEC du Pic, Rimoz du domaine de la Rochette (vinification intégrale de gamay égrappé, macéré pendant 3 semaines dans un fût de 500L, sans sulfites ajoutés), Les Senelles du domaine du Poyet, Rézinet du domaine Verdier-Logel (seule cuvée rescapée de la grêle qui a ravagé le domaine en 2012), les Blondins du domaine Sérol (la vigne bio plantée il y a plus de 20 ans par Pierre Troisgros et Robert Sérol, en agriculture biologique), le Clos du Puy du domaine des Pothiers (parcelle d'altitude particulièrement bichonnée par Romain Paire, au sein d'une gamme homogène et parfaitement cohérente, aux étiquettes joliment colorées).
Le Forez-Roannais est donc en quête d'une nouvelle dynamique, grâce à des vignerons hypermotivés qui ont mis en commun leur moyen pour mieux se faire connaître, tout en continuant de revendiquer leur originalité. Faire de sa marginalité un atout, voilà un bien beau challenge relevé, entre autres, par Gilles Bonnefoy, du domaine de la Madone, à la tête de l'Association des vignerons.
Olif