Il faut se lever de bonne heure pour gagner la côte des Bar. L'Aube se mérite, c'est le matin qu'on prend son avance. Ville sur Arce, une ville à la campagne. Et en Champagne. Petite, quelques maisons, à peine un village. Et une coopérative, pas loin. Dans la vallée de l'Arce. Un peu plus au nord que celle de l'Ource, qui se jette dans la Seine après Celles et bien avant Chaource, cité fromagère auboise. Un relief ondulé, oscillant entre kimmeridgien et portlandien, faisant géologiquement suite au chablisien, un pays où il fait bon vivre et planter du raisin. Le pinot noir est ici dans son fief, ne laissant que quelques miettes au chardonnay, parfois détrôné sur ses sols de prédilection. Bienvenue dans l'Aube, ex "Champagne de seconde zone", magnifiquement révoltée, de 1911 jusqu'à nos jours, pour devenir une région essentielle dans la production de vins à bulles. De Buxières sur Arce (chez Bertrand Gautherot) aux Riceys (chez Olivier Horiot), en passant par Buxeuil (chez Vincent Couche), Polisot (chez Dominique Moreau) ou encore Celles sur Ource (chez Cédric Bouchard)...

Valérie Frison est une femme coopérante qui a plus d'une corde à son arc. Elle exploite 6 hectares de vignes sur la commune de Ville sur Arce. Des vignes dans le giron familial depuis des décennies, initialement destinées à la coopérative Chassenay d'Arce. Installée depuis 1996, champagnisant depuis 2007 avec son désormais ex-mari, sous le nom de Champagne Frison-Demarne, elle est devenue Val'Frison depuis le millésime 2012. De ses 6 hectares, seuls 3,5 sont destinés à sa production personnelle. C'est suffisant pour elle. Le reste, c'est pour la coopérative, comme elle l'a promis. Des vignes en bio, les seules de la commune, dont la production dédiée à la coopérative sera bientôt valorisée comme telle. Le champagne Val'Frison, quant à lui, se valorise tout seul.

Valérie est une vigneronne sensible, à l'écoute de ses vins. Vinifiés de façon parcellaire, en fût, avec ou sans soufre, selon les besoins, en séparant la "cuvée" des "tailles" pendant l'élevage. Puis assemblés pour produire essentiellement deux champagnes, Goustan et Lalore. Blanc de noirs pour le premier et blanc de blancs pour le deuxième, le chardonnay ne représentant que 7% de l'encépagement du domaine. Pas d'assemblage de millésime, celui-ci est revendiqué chaque année pour mieux le respecter. Et puis, à partir de 2012, un partenariat avec Dominique Derain, pour une version champagnisée de Chut, totalement libre, qui vient étoffer l'offre en bulles du trublion bourguignon, après la bien nommée Chut Derain. Chut libre, le champagne qui tombe à pic!

Goûter aux vins clairs du millésime 2015, issus de raisins tout juste vendangés, fut un pur bonheur. Fermentation alcoolique terminée sur quasiment tous les vins, sauf les chardonnays, malo en cours pour la plupart, déjà. Des jus d'une grande pureté, issus de raisins sains, sur de beaux terroirs, magnifiquement travaillés, qu'ils viennent de La Chevétrée, de la Fiole, de Sur la Ville ou des Cotannes, parfaits reflets de leur sol, du portlandien au kimmeridgien. L'occasion aussi de goûter à deux fûts distincts du même jus, l'un sans sulfites ajoutés, l'autre légèrement sulfité. Une différence flagrante, la palme (pour l'instant) à la cristallinité du vin sans soufre. De bien belles bouteilles en perspective lorsque la bulle aura fait son apparition. Et aussi Chut, seule cuvée aux raisins déjà assemblés en fût, moitié pinot, moitié chardo, il fallait bien ça pour contenter un bourguignon. Du pur jus de Fiole, une petite merveille d'équilibre.