Chambertin, roi-soleil l'Espace d'un instant
Novembre, mois des premiers frimas. Tandis que l'été indien se poursuit sur les hauteurs, le brouillard enveloppe la plaine et maintient le soleil à distance. L'air bourguignon est frais, humide comme au fond des caves.
Sous la nappe, pourtant, la Bourgogne s'affaire. C'est l'heure de ses trois glorieuses. Les journalistes et les importateurs sont là. Et bientôt les stars, qui tenteront de faire monter le thermomètre lors de la grande vente caritative des Hospices de Beaune. En prélude à ces agapes, le Roi Chambertin est désormais bien inscrit dans le paysage bourguignon. Il s'agit de faire découvrir en avant-première à la presse et aux autres communicants les vins du millésime précédent. À l'automne, quand les vins commencent à mieux laisser entrevoir leurs charmes, et non plus au printemps, lors des traditionnelles dégustation "primeur" calquées sur celles des Bordelais, où ils sont beaucoup plus difficiles à jauger. Organisée par le syndicat des vignerons de Gevrey, bénéficiant d'un second souffle depuis 4 ans, la manifestation est maintenant parfaitement rodée. Dégustation suivie d'un repas arrosé des vins produits 10 ans plus tôt, une passionnante remontée dans le temps. Avec, comme chaque année, un invité d'honneur. Cette année, l'Alsace est venu nous rafraîchir avec ses blancs, dont un Jéroboam de Clos Windsbuhl 2003 du domaine Zind-Humbrecht...
De façon non chronologique, passons d'abord à table. Sans aucun plan, pour la première fois. Afin de favoriser les échanges entre participants et vignerons, en fonction d'affinités éventuelles. Convivialité et décontraction sont les deux mots d'ordre.
2004 fut l'année de la coccinelle. "La faute aux bios", m'a-t-on laissé entendre, eux qui ont fait appel à cette armée de mercenaires asiatiques pour lutter contre les pucerons, dans les années 80. Quid du rôle des horticulteurs belges? Et aussi des douaniers de l'époque, qui ont mal verrouillé les frontières? Des exactions terroristes qui n'ont heureusement rien en commun avec celles d'aujourd'hui, même si on en subit encore les conséquences. Mais, en 2004, la petite bête à bon Dieu orientale a pullulé, envahissant les vignes au moment des vendanges, se planquant dans les grappes, contaminant potentiellement les moûts de son amertume caractéristique (à moins que celle-ci ne provienne également d'un manque de maturité et de rendements pléthoriques..?). Intéressant à regoûter, ce millésime, 10 ans plus tard, au cours de l'excellent buffet dînatoire préparé par Thomas Collomb, de la Rôtisserie du Chambertin. Le plaisir de passer d'un Charmes-Chambertin au nez envoûtant et épanoui (mais à la bouche malheureusement un peu sèche et décharnée) à un magnifique Lavaux-Saint-Jacques encore juvénile, lui. Quelques autres, grappillés au passage, sont en bout de course. Mais une bonne majorité se sont goûtés dans la force de l'âge, encore loin de celui de la retraite. Et, soudain, cet improbable pinot noir tchèque complètement caramélisé, sorti d'on ne sait où, et possédant la rusticité non feinte d'un coup de pelle de paysan landais en colère. L'antithèse du Latricières qui a suivi, patiné et gai comme un pinson.
2014 fut l'année de la mouche. À priori, les bios n'y sont pour rien. Ouf! La drosophile suzukii, elle aussi venue d'Asie, n'aurait fait que profiter des aléas de la météo pour se développer et se ruer sur les raisins, une fois ceux-ci arrivés à maturité suffisante pour elle. Il a fallu vendanger vite et trier, pour éviter la piqûre acétique. Sur la plaquette de présentation du millésime, Jacky Rigaud a pourtant préféré la passer sous silence, mettant l'accent sur l'été chaotique, que les raisins ont réussi à bien traverser grâce à une floraison précoce et une grande énergie emmagasinée au printemps. Pour donner "des vins sapides, ... à déguster sur le fruit mais qui se plairont à vieillir". Et, de fait, beaucoup de vins sont gourmands. Une fois de plus, du plaisir du côté des villages, avec comme coup de cœur la première bouteille dégustée, par ordre alphabétique. Du coup, j'y suis retourné à deux ou trois fois. Pour confirmation.
Ce Clos des Chezeaux du domaine Denis Berthaut possède toute la grâce et la finesse des meilleurs Gevrey-Chambertin. Un fruit éclatant, un joli grain de vin très fin, une élégance à toute épreuve. Un domaine familial depuis 7 générations, où la relève arrive en la personne d'Amélie, fille de Denis Berthaut. Une nouvelle génération se met donc en place. C'est la véritable tendance au sein de l'appellation, qui verra aussi se renouveler le bureau du syndicat dès l'année prochaine, Philippe "Toutoune" Charlopin et Jean-Michel Guillon ayant largement fait leur part du travail toutes ces années. Place aux jeunes, dont Caroline Drouhin, traductrice d'un soir!
Jolie découverte aussi que ce vin un peu atypique de Jane et Sylvain, domaine en agriculture biologique créé en 1993. Et confirmation de la grande qualité des vins de Jérôme Galeyrand, En Croisette, Billard et La Justice faisant un joli tir groupé dans un registre élégant que j'affectionne particulièrement.
Au total, ce furent pas moins de 120 vins à déguster, villages, grands crus ou premiers crus prestigieux, pour une vision panoramique passionnante de la production de tout un village.
Le Roi Chambertin 2015 est mort, vive le Roi Chambertin 2016.
P.S.: une nouvelle fois, un grand merci à Fabienne Nicot pour son implication dans l'organisation de cet événement et aux vignerons de Gevrey-Chambertin pour leur accueil.