Savoir enfin qui nous lisons!
Entre business, résistance, biodynamie et passion, savoir enfin qui nous lisons. L'un d'entre eux s'est fixé comme objectif de "dénoncer avec passion" un système dont il fait entièrement partie. On est loin du Vinobusiness, le seul, le vrai, celui d'Isabelle Saporta. Le pétard de la LPV est un peu mouillé et ne fait pas long feu. On reste dans "l'entre soi", comme écrit le taulier Berthomeau, qui ne s'est pas senti l'humeur de jouer au critique littéraire (même s'il s'est fendu d'une chronique qui en est quand même une, sans en être une véritablement), préférant recruter parmi ses lecteurs. Je n'ai pas postulé. Peut-être eus-je dû? Isabelle Saporta, quant à elle, plaide pour qu'on lui foute la paix. À elle et à tous ces producteurs de produits de qualité étouffés par les normes, qui, sous couvert de défense du consommateur, ne visent qu'à favoriser l'agrobusiness. Savoir enfin qui nous mangeons, avant de savoir qui nous buvons. D'abord spectacle fleuve célébrant la vie, le vin naturel et certains de ses vignerons, c'est désormais un livre de Sébastien Barrier. En quelque sorte le making of du spectacle. Et enfin, finissons par un petit tour en images chez les vignerons biodynamiques du Jura, toujours dans l'optique de savoir qui nous buvons, avec ces Instants de vignes, un ouvrage auto édité par le photographe Jérôme Genée.
Le vin, entre business et passion, donc. De Jérôme Pérez, "l'un des fondateurs du forum de la Passion du vin", comme explicité sur un simili bandeau non amovible en couverture. Et voilà que je le reçois dans ma boîte aux lettres en service presse. Sans l'avoir demandé. Je ne sais pas si c'était une bonne idée, de me l'envoyer. Alors, que faire? Le lire? Plus trop le choix. Je l'ai lu. Je n'ai pas été déçu. Surtout en bien, comme on dit en Suisse voisine. Organisé en courts chapitres, il se lit plutôt vite, ce qui est tout à son avantage. Après une première moitié plutôt introspective, sur la génèse de sa passion et de son statut de passionné, l'auteur rentre dans le vif du sujet. La dénonciation des abus d'un système, de la starification des vins à celle des terroirs, sans oublier celle des critiques qui ont fait main basse sur le marché des vins haut de gamme. Ceux que le vulgum pecus ne peut pas/plus s'offrir, faisant désormais partie du monde du luxe, au même titre que les Rolex et les robes de chez Dior. Et voilà une partie du nœud du problème. Jérôme Pérez fait une petite fixette sur le "grand vin" et ses plus ardents défenseurs français, Michel Bettane et le Grand Jury Européen de François Mauss. Un monde du vin élitiste dont il se sent exclu (même s'il a été parfois invité à le rejoindre) et, bien qu'il s'en défende, à l'origine d'une certaine frustration, nettement perceptible à la lecture de son bouquin. Et tout finit par tourner autour de ce sentiment d'aigreur. Comme si ce monde du vin là était le seul qui vaille la peine! Et pourtant, on le sent (on le sait) capable de s'intéresser à autre chose de plus authentique, de plus rare, de plus précieux, de plus sincère, de plus abordable, comme les vins de Gaillac, dont il est le plus ardent défenseur régional, les vins de Hongrie, les vins slovènes...
On pourra se délecter de sa propre théorie (que l'on aura le droit de juger fumeuse) sur le terroir et la typicité, d'un couplet (un brin sarcastique, bien dans le ton LPV) sur la biodynamie, sans oublier le meilleur et le plus convenu, les poncifs sur les bobos et le vin nature (considéré comme le "phylloxera" du XXIème siècle, rien que ça!), le marronnier du forum par excellence. Si LPV était un blog, ce livre serait un blook, la transcription sur papier des thématiques favorites les plus polémiques que l'on peut y lire (ou pas), avec le point de vue totalement partial de son auteur, parfois complètement à côté de la plaque. Des blogs (aux auteurs "égocentriques et individualistes") volontiers égratignés par Pérez, le seul émergeant et digne d'intérêt pour lui étant celui de François Mauss, "parce que ceux qui s'y expriment savent quand même de quoi ils parlent". Intelligentsia du vin, quand tu nous tiens! On a tout de même visiblement un peu besoin de ces blogueurs "dont l'audience n'est jamais au rendez-vous" pour assurer un minimum de promotion à l'ouvrage...
Ce livre trônera sans doute avec fierté sur le chevet des millions* de passionnés de la Passion du vin. Les passionnés de vin tout court pourront toujours s'en servir pour caler leur table de chevet, le cas échéant.
*d'après les manifestants. Un peu moins selon la Police.
Le vin, entre business et passion, Jérôme Pérez, Éditions Libre & Solidaire
Foutez-nous la paix! Entre agrovinobusiness et passion, Isabelle Saporta a de la suite dans les idées. Cette fois, elle dénonce, toujours avec passion, mais surtout fougue et conviction, les dérives de l'agriculture intensive et les normes inacceptables imposées à tous les petits producteurs pour les pousser dans les bras de l'industrie (et surtout les étouffer). Avec un vrai bandeau qui rend hommage à tous ces authentiques résistants. Organisé également en chapitres courts, géographiquement répertoriés (Corse, Aveyron, Bourgogne, Loire,...), il se lit facilement. Un peu de redondance dans les sujets et un parti pris journalistique un peu technique sur certains points, mais le lecteur comprend néanmoins aisément de quoi il retourne et comment tout le monde se fait enfumer par les lobbies de l'agro-industrie, dont l'unique finalité est de s'approprier tout ce qui est susceptible d'être productiviste et lucratif. Avec la bénédiction de toutes les instances, qu'il s'agisse de la FNSEA, de l'INAO ou, pire, du gouvernement. Un ouvrage salutaire et un combat indispensable, pour sauver le fromage de brebis corse, le roquefort, l'agneau de pré salé et le vin de pouilly-fumé d'Alexandre Bain, entre autres.
Foutez-nous la paix! Isabelle Saporta, Albin Michel
Gardons pour la bonne bouche ce livre rouge (encore!) de Sébastien Barrier (rien à voir avec Ricet), les bretons l'ayant plutôt connu sous le pseudonyme de Ronan Tablantec. Un gars inaltérable, particulièrement résistant au crachin, qui fut le comparse d'Antony Cointre lors de Vini Circus première génération. On le savait homme de scène, brillant à l'oral, génial improvisateur, on le découvre excellent à l'écrit. Et ce n'est finalement pas surprenant. Un livre jouissif, sincère, truculent, magnifiquement illustré, illustrant magnifiquement son parcours, ses motivations, ses doutes, jusqu'à l'aboutissement de son œuvre. Savoir enfin qui nous buvons. Et s'il n'y avait que ça qui compte, finalement?
Savoir enfin qui nous buvons, Sébastien Barrier, Actes Sud
Pour clore les lectures pascales, un beau livre d'images qui en dit plus qu'un long discours: des paysages, des vignes, des gestes, des gens, des vignerons et des cornes de vache. Un livre édité par l'auteur, Jérôme Genée, photographe jurassien qui s'est penché sur les biodynamistes locaux (Stéphane Tissot, la famille Pignier, Bruno Ciofi de la Pinte) pour livrer un témoignage illustré sur le vif, au gré des saisons et des travaux de la vigne, complété d'une interview des 3 vignerons précités. Instants de vignes, fragments biodynamiques, instantanés de vignerons, une bouffée d'air non vicié en provenance du Jura.
Instants de vignes, Jérôme Genée, Éditions de l'auteur
P.S.: Vini Circus, dont il ne faudra absolument pas manquer la prochaine édition, les 15, 16 et 17 avril 2016.
P.S.2: le même week-end, il y aura la Biojoleynes. C'est malin! Première fois que je vais devoir me faire porter pâle en Beaujolais!
Et on enchaîne avec la semaine du Champagne, Terres et vins en point de mire le lundi 18 avril (réservé aux pros, sur inscription)
P.S.3: les différents ouvrages n'ont pas été dégustés à l'aveugle. Mais n'y voyez pas un quelconque biais de sélection.
Commentaires
Je te représenterai en Beaujolais... La Bretagne, c'est un peu loin pour moi...
J'allais m'exprimer (ça fait longtemps que je ne l'ai pas fait ici mon ami Olif) mais finalement, cet homme (Pérez) exerçant un métier frustrant (dans sa vrai vie), je ne vais rien écrire de plus.
(je place quand même un bisou pour Isabelle Saporta si elle lit ce message - cela n'a aucun rapport)
Bonjour Olif,
Mes annees forums sont désormais bien lointaines mais j'avoue que la lecture de ta chronique m'a fait sourire et sans doute aussi a déclenché une serie de souvenirs en cascade sur la réactivité des échanges associés aux vins et à ceux qui le font.
En dépit de ces querelles, imperfections, débats et aussi souvent gueguerres un peu vaines, il reste des échanges passionnés et souvent assez instructifs pour le surfeur de crus. Ce n'est déjà pas si mal et au fond cela a permis à beaucoup de se lancer dans des dégustations plus concrètes.
Oublions ce qui a trait à l'ego et poursuivons notre quête de bonnes choses en toute liberté., ce que je fais en venant te lire avec récurrence et plaisir et ce que devrait faire notre bon Jérôme qui a tout de même du mal à montrer qu'il a de réelle qualité...
Patrick from Meursault pas loin du Jura-))
Oui, il est désormais loin, le temps des forums, qui ont permis à pas mal d'amateurs débutants d'apprendre et de "se construire" en matière de vin, que ce soit sur Magnum Vinum, DC ou LPV. Dont moi, je ne le nie pas, bien au contraire. Les choses ont pas mal évolué, mais on peut parfois retrouver l'esprit forum au détour d'un billet de blog ou d'échanges sur Facebook. Une fois passé le brin de nostalgie, ça ne me manque plus vraiment. Mais ce fut quand même une époque sympa...