Terres, vins et ratafias de Champagne
Les printemps champenois se suivent et se ressemblent. La troisième semaine d'avril est devenue synonyme d'éclosion des salons dédiés à la bulle et aux vins clairs. Le printemps des champagnes est né. Sous les éclaircies, les nuits restent cependant fraîches, occasionnant de façon récurrente les premières gelées printanières. Et ce, malgré l'effervescence qui règne dans le vignoble. D'Épernay à Reims, en passant par les Riceys et le phare de Verzenay, toute la région pétille et vibre pourtant à l'unisson.
Huitième édition pour Terres et vins de Champagne, le groupement de vignerons précurseurs de l'ensemble de ces manifestations. Cette dernière se déroulant désormais dans le cadre historique du Palais du Tau, lieu de séjour des Rois de France durant leur sacre. Le sacre, c'est aussi celui de Terres et vins, véritable salon-cathédrale, qui a parfaitement su gérer le succès généré. Plus de 700 inscrits et une organisation toujours impeccable, adaptée pour accueillir l'afflux de visiteurs, venus envahir Reims et la Champagne pour fêter le printemps. Il a coulé un peu de vin clair sous les ponts, depuis la première édition du Castel Jeanson. Mais les vignerons de Terres et vins ont su maintenir l'esprit de la rencontre, une communication qui se veut d'abord pédagogique et éducative, permettant de découvrir l'essence même des vins de Champagne: leur terroir. Même si nombre de visiteurs ne viennent ici avec pour seul objectif avoué de garnir leur carnet de commandes. Une raison par ailleurs économiquement défendable.
Avant le salon proprement dit, un before. Réservé à quelques invités privilégiés. Celui-ci fut 3 étoiles. À l'Assiette champenoise d'Arnaud Lallement, chef triple étoilé cultivant autant l'amour du verre champenois que celui de l'assiette. Un parcours gustatif complet, de l'apéritif au digestif, en accord avec une cuvée de chaque vigneron présent, du rouge aux bulles, du demi-sec au vin de glace, du ratafia à la fine, de la plus jeune à la plus ancienne. Il est à noter que le vin le plus âgé a été présenté par le dernier vigneron arrivé dans le groupe, Aurélien Suenen. Un 1975 encore fringant, servi en magnum, aux jolies notes d'évolution, mais à la bulle encore fine et bien agréable.
Une succession de petits ateliers a donc permis de tester en miniature une cuisine de très haut vol, en accord avec 23 vins sélectionnés au préalable. Des accords libres, aucun ordre n'étant imposé. Pour finir avec quelques curiosités ou raretés champenoises. Mention particulière au petit gnocchi sauce au vin jaune, qui a motivé de ma part plusieurs passages au stand, on ne se refait pas.
Avec les desserts, un demi-sec 2008 de Vincent Laval, dosé à 40g, qui ne se sentent presque pas du fait de l'acidité du millésime. 200 bouteilles produites, non commercialisées, une chance d'avoir pu y goûter. Tout comme ce vin de glace 2009 de Fabrice Pouillon, Ice'périence, le genre d'accident climatique qui n'arrive pas chaque année. Autre spécialité champenoise, considérablement dénigrée et galvaudée, le ratafia. Pourtant, lorsque l'on s'intéresse à ce produit, on peut sortir de belles choses.
Le ratafia, c'est le "macvin de la Champagne", si l'on en croit Francis Boulard, absent pour cause de sortie sur la côte bretonno-normande (il en présentait d'ailleurs un spécimen à ViniCircus). Une mistelle, en fait. C'est à dire un mutage sur moût par une fine de Champagne. Celui de Pascal Doquet est un peu à part. D'ailleurs, ce n'en est pas un vrai, de ratafia. Pas commercialisé, non plus. Un genre de solera, au caractère oxydatif, plutôt sec en bouche. Une vraie curiosité. Vincent Couche, par contre, s'en fait une petite spécialité. Tout comme il est devenu officiellement distillateur pour produire sa propre fine, déclinée selon les cépages et sa propre exigence. Son ratafia, il en sépare également les couleurs et les provenances. Chardonnay de Montgueux ou pinot noir de Buxeuil, l'accompagnement des raisins jusqu'au bout.
En prélude à ce régal du palais avaient eu lieu les traditionnels discours et la remise du prix Terres et vins. La photographie à l'honneur cette année, avec Thomas Iversen, auteur de remarquables clichés sur la Champagne et ses vignerons. Sans oublier la passation de pouvoirs sans chichis entre Benoit Lahaye et Fabrice Pouillon, à la présidence de l'association.
Place à l'événement! La rencontre avec les terroirs et leur expression sous forme de vin clair. Le millésime 2015 est riche en belles promesses. De la richesse, d'une manière générale, oui. Mais de l'acidité et un superbe équilibre, pour la majorité des vins goûtés. Au-delà des différences de millésime, depuis 8 ans, il est intéressant de constater combien tous les vignerons ont progressé dans leur démarche. Le travail à la vigne, la mise en valeur des sols, le respect des terroirs et du parcellaire, ont clairement dynamisé la qualité des jus, avec ou sans conversion en biodynamie. À mon sens, l'intérêt fondamental de ce genre de présentation pour qui cherche à mieux comprendre le champagne et la Champagne. Une Champagne qui n'est pas épargnée par les "désagréments", si l'on s'en réfère à la mésaventure arrivée à David Léclapart et rapportée par Isabelle Saporta dans "Foutez-nous la paix!". Ou quand l'exigence et la recherche de la plus grande qualité ne plaît pas toujours aux instances.
Sans rentrer plus dans le détail, quelques-uns des autres grands moments de cette journée printanière au Palais du Tau, à laquelle je me suis consacré entièrement, sans avoir néanmoins le temps de tout goûter, l'affluence, revers de la médaille, ne permettant pas de s'approcher de tous les tonneaux au moment voulu. Et puis, le soleil, le lieu, les rencontres, les nourritures terrestres ou maritimes...
Huîtres et bulots sur fond de cathédrale, de quoi oublier un séjour breton écourté et faire un clin d'œil à un champagnard en goguette sur la côte normande, ayant séché le salon pour prendre le chemin des écoliers entre Bretagne et Champagne. Avec un fond de verre du Jardin de la grosse pierre, champagne d'auteur d'un jardinier de Bouzy, Benoît Lahaye.
Vincent Laval à la volée, un geste techniquement parfait. Jeu, set et match! Toujours de façon ludique, il a fallu répondre à un sondage auprès de Benoît Tarlant pour déterminer le nom de la future cuvée en amphore du domaine. Orcio, du nom italien du type d'amphore utilisé, ou Argilité, néologisme français qui veut bien dire ce qu'il veut dire. Il lui a été suggéré Lapin argile, sans grand succès. L'avenir (proche) nous dira ce qu'il est ressorti de ce brainstorming collectif.
Le temps d'une interview diffusée quasiment en direct-live sur les réseaux sociaux grâce à Visualtwt, mandaté pour couvrir l'événement, ce fut déjà le moment venu d'un after collant au Glue Pot. Où Delphine Richard, de la maison Boulard et fille, nous invite à entrer, façon photobomb. Pub, beer, home made food, good wine and rock'n'roll music, l'adresse rémoise de Stéphane Arion, désormais culte, a été privatisée pour l'occasion. L'invasion de la place Drouet d'Erlon a pu commencer! Jusqu'au bout de la nuit.
Champagne! (d'auteur)...
Commentaires
Une journée qui donne envie d'y participer. En plus les plats ont l'air de bien s'accorder