Véritable cépage emblématique de la Confédération Helvétique, qui n'en possède néanmoins pas l'exclusivité, le chasselas est pluriel (et pas uniquement parce qu'il prend un "s" à la fin). Il en existe autant de variétés et de noms que d'endroits où il est cultivé. Mais d'où viens-tu, petit raisin doré chéri de nos tables ou de nos verres? De Chasselas, en Bourgogne? De Moissac? De Pouilly sur Loire? D'Orient? D'Égypte? Ou tout bêtement de l'arc lémanique et, plus précisément, de Suisse voisine? Du canton de Vaud, même, pourquoi pas? Soyons fous!

Fondu enchaîné sur la baie de Lausanne, il fallait bien un film pour tenter de répondre à cette question métaphysique, helvète et underground, puis de diffuser son histoire à l'intention des générations futures. Une histoire de cépage, pour toujours? Oui. Chasselas forever ...

Et nous en profiterons pour répondre à une autre question, subsidiaire, que jamais personne n'avait eu l'idée de se poser jusque-là: le chasselas est-il ovipare?

La quête des origines du chasselas, c'est l'angle de vue qu'a choisi Florian Burion pour son moyen métrage documentaire "Chasselas forever", largement primé à Œnovidéo en 2015. En s'appuyant, entre autres, sur les travaux de José Vouillamoz, qui sont à la génétique des cépages ce que ceux de Gregor Mendel furent à celle des petits pois. Le caractère lisse et ridé en moins, le séquençage ADN et le béret en plus. Et c'est au cinéma Royal de Sainte-Croix, balcon du Jura vaudois, qu'une projection s'est déroulée cet été, en présence du réalisateur, de quelques protagonistes du film et de guest stars vigneronnes locorégionales.

Il était donc une fois un petit grain de raisin qui aimait à se faire dorer au soleil lausannois, au point d'en attraper parfois des taches de rousseur. Comme la plupart des cépages de cette époque-là, il voyagea beaucoup et visita des tas d'endroits, où il établit des colonies. Passé par la Bourgogne, où il transita, il en repartit au galop avec son nom naturel le plus courant: Chasselas. Suspendu, du temps de Marignan, à la treille du Roy François Ier, qui en était friand, il s'est fait dépouiller de son rang à Pouilly, petite cité ligérienne qui n'est pas parvenue à l'enfumer. Un petit peu quand même, lui préférant finalement le sauvignon pour accéder à la notoriété. Même si l'appellation Pouilly sur Loire subsiste pour en révéler tout le potentiel.

Mais c'est finalement dans le Lavaux et le Chablais que l'on suivra le plus de traces de ce cépage considéré comme une véritable éponge à terroirs, sa relative neutralité gustative permettant de marquer à la culotte les sols les plus minéraux. Du côté d'Aigle, notamment (ce qui n'en fait pas pour autant un cépage ovipare). C'est là que nous ferons la connaissance de Stéphanie Delarze, du domaine de la Baudelière, revenue au domaine en 2000 épauler sa mère Christine. Passionnée par son cépage de prédilection, elle n'hésite pas à le pousser dans ses derniers retranchements en le vendangeant en décembre, passerillé sur souche, volontiers botrytisé. Accentuant le passerillage pendant encore deux mois sur claies, elle presse alors ce qu'il reste de jus, obtenant ainsi un Doudou qui porte bien son nom. L'équilibre d'un grand liquoreux, avec juste ce qu'il faut d'acidité pour balancer la sucrosité. Le sourire de Stéphanie illumine le film, lui donnant par la même occasion la justification de son titre, de sa propre bouche: Chasselas forever!

Mais revenons à notre petit raisin, passé au crible des sondes génétiques du Docteur José Vouillamoz. Après avoir assisté à d'impressionnantes et émouvantes séquences filmées en timelapse, permettant la visualisation de l'éclosion d'un bourgeon à la sortie de l'hiver ou encore de la naissance de la fleur, on apprendra de la bouche même du spécialiste en génétique variétale que les raisins les plus proches génétiquement du chasselas se situent tous dans l'arc lémanique, son plus proche parent identifié se trouvant être l'altesse savoyarde. De par son ancienneté attestée dans cette zone, sous le nom de lausannois, cela en fait donc un cépage originaire du pourtour du lac. Sans nul doute possible, la vérité si je Léman. Voilà une enquête rondement menée!

Et, pas encore au bout de ses surprises, le spectateur du Royal cinéma de Sainte-Croix finira par apprendre, lors de la dégustation qui suivra la projection, que le chasselas peut sortir d'un œuf. Oui Madame! Le Morgien, du domaine de la ville de Morges, vinifié en œuf béton et sans sulfite, a pris son envol en 2015. Et c'est tant mieux. Finalement, le chasselas est ovipare! Parfois. Oui Madame!

Pour digérer cette nouvelle, un petit verre de lausannois, primé au mondial du Chasselas, s'impose! À servir les yeux fermés...

P.S.: pour finir en beauté et en musique, sur des accents lémaniques...