Rentrée litre (et raire)
C'est la rentrée. Des classes, des vendangeurs, la rentrée littéraire et vinique Et c'est déjà la foire, aussi. Lisons, vendangeons, buvons. Soyons fous, achetons s'il le faut. Mais intelligemment, pas n'importe où. Pas n'importe quoi. Tout savoir sur le vin, avant de le boire, avant de l'acheter, c'est possible. Notamment grâce à la Pinardothek. Jamais en carafe avec Sandrine Goeyvaerts, la caviste liégeoise à la langue bien verte, oufti! Et, évidemment, jamais en foire aux vins, si l'on respecte un tant soit peu le produit. On fera donc sans difficulté l'impasse sur les différents guides d'achats qui fleurissent comme des moisissures à l'approche des grandes messes médiatiques célébrées à grands coups de fausses bonnes affaires par une grande distribution jamais en reste d'opérations commerciales, quand il s'agit d'écouler à grande échelle des palettes de vins plus ou moins bons qui permettront de vendre au moins autant de palettes de papier toilette pour torcher cet écoulement diarrhéique de liquides embouteillés à profusion pour endiguer la fièvre acheteuse des troupeaux de moutons consuméristes rendus accros aux bonnes notes, coups de cœur et autres médailles distribuées à la louche par des jurés de pacotille ou des gourous du vin se targuant de leur soi disant expertise, mais dont l'objectif premier est de fourguer leur propre camelote de papier.
Plutôt que de feuilleter un catalogue entres les rayons de supermarché, on préfèrera lire entre les vignes et se tourner vers d'autres ouvrages, qui prennent le temps d'aller à la rencontre des vignerons, de leurs vignes, de leurs vins.
Rendons néanmoins justice aux guides d'achat foireux, qui profitent de la période des foires aux vins pour lorgner sur les prix littéraires des linéaires. Celui de la RVF amorcerait un virage, à l'image du magazine du même nom, qui a compris qu'il ne pouvait plus ne pas aller à l'encontre d'une frange de plus en plus nombreuse de son lectorat potentiel, attirée par les vins vivants issus de raisins élevés en plein air. Le fameux guide vert aurait donc changé. En bronze, mais pas vraiment en bien, si j'en crois l'exemplaire feuilleté à la volée chez le libraire du quartier. Classifications bizarres, ordonnancement aléatoire, sélections de seconde zone, avec aucun des vignerons majeurs de chaque région. Gros fail, c'est le P-D-G que j'ai dans les mains, aux couleurs trompeuses, vert et bronze lui aussi, pour son édition 2017! Si c'est pas du bronze, alors qu'est-ce que c'est?, chantait Dutronc. Au temps pour moi! J'espère juste que ça ne tache pas! Le célèbre et unique guide vert de La RVF, s'il n'est pas révolutionnaire dans ses choix, ouvre de larges portes vers une viticulture et une vinification plus respectueuses de l'environnement et du produit, sous la houlette, entre autres, de Jean-Emmanuel Simond et Alexis Goujard. Tant mieux! Et, enfin, le Jura est géographiquement séparé de la Savoie! Il était grand temps!
Pour être mieux armé en vue des foires aux vins ou du marché hebdomadaire, pas besoin de kalach. Juste une carafe. Pour éviter d'avoir à le rester, en carafe, justement. Tout savoir sur le vin, c'est pas sorcier. Loin d'être un plagiat ou un remake du best-seller de Miss Glouglou, visiblement toujours pas traduit en dialecte liégeois, il s'agit plutôt d'une variation sur le même thème. Un ouvrage à vocation ludique et pédagogique, pour le néophyte, mais néanmoins susceptible de faire prendre son pied (de verre) à l'amateur plus éclairé. Parce qu'il y a de gros morceaux de Pinardothek dedans. Une verve, un style, un franc-parler, des prises de position, du féminisme, un peu de gras aussi, et un humour au bon goût de liège, mais jamais sirupeux. Oufti! Ça reste accessible à tous. Vulgarisateur sans être vulgaire, même quand on a droit à la description d'une partouze de levures. Moral sans être moralisateur, surtout quand il s'agit d'éduquer les enfants et les femmes enceintes. Et ça coûte à peine le prix d'un verre de Petit Cheval Blanc blanc, un vin de Bordeaux pour les gogos, qui ne sent néanmoins pas le poney.
Pour remettre l'église au milieu du village et sortir le vin des linéaires de grande distribution, rien ne vaut une petite lecture entre les vignes. Que le vigneron retrouve enfin sa place. Celle qui lui revient de droit, la place de choix, au milieu de ses vignes, les pieds dans la terre, les mains dans la cave et la tête dans les nuages. 15 vignerons bourguignons, 15 entretiens qui roulent un peu les "rrrr" parfois, portraitisés par Guillaume Laroche et photographiés par Harry Annoni, sous le regard de Frédéric Henry. 15 vignerons qui se confient, sur leur parcours, leur relation à la terre, leur pratiques en cave. Sans langue de bois, confidences bienvenues. Et on peut compter sur Dominique Derain pour s'y abandonner, en revenant, à deux doigts d'une retraite méritée, sur son parcours de vigneron précurseur, avec le regard lucide et intraitable de quelqu'un qui ne s'en laisse pas (ou plus) compter! En feuilletant les pages, on croise avec plaisir de vieilles connaissances (Athénaïs de Béru, Renaud Boyer, Julien Guillot, Emmanuel Giboulot), on apprend à mieux connaître certains (Claire Naudin, Jean-Yves Bizot, François de Nicolay), déjà croisés sur différents salons, et on en découvre d'autres (Oronce de Beler, Cécile Tremblay, Pierre Boillot,...). Tous revendiquent, à juste titre, un authentique respect de leur terroir, de la Bourgogne et de leur vin. Même s'ils usent de moyens sensiblement différents pour y parvenir. Tous ne sont pas bio, mais respectent la terre, tous ne croient pas au vin naturel, mais s'interrogent sur un usage mesuré du soufre et des pratiques peu interventionnistes et non technologiques en cave. Très bien conçu, sincère, superbement illustré, c'est un des musts de la rentrée litre (et raire).
Des illustrations, ce Pur Jus fraîchement pressé n'en manque pas. Voilà qui promet aussi de bien jolies rencontres vigneronnes, dans toute la sphère naturelle, sous la plume fine et élégante de Justine Saint-Lô, au dessin, et celle alerte et avisée de Fleur Godart, pour les textes. Philippe Jambon, Alain Castex, Michaël Georget, Alexis Porteret, Jérôme Guichard..., autant de belles personnes que l'on se réjouit de voir s'animer sur le papier pour nous expliquer leur vision de la viticulture.
Une rentrée qui devrait se prolonger jusqu'aux confins de l'été indien, avec un fascicule épuré, pour l'heure encore en noir et blanc, mais qui devrait au final faire rire bien jaune tous ses concurrents...
Jamais en carafe, de Sandrine Goeyvaerts, aux éditions Hachette
Entre les vignes, de Guillaume Laroche, Frédéric Henry et Harry Anoni, aux éditions REVERSE
Pur Jus, de Justine Saint-Lô et Fleur Godart, aux éditions Marabout
Le vin jaune, 10 façons de l'accompagner, par moi-même ici présent, aux éditions de l'Épure (sortie le 14 novembre)
P.S.: les vendanges ont débuté, sont déjà finies pour certains, parfois mêmes avant d'avoir été commencées. 2016, millésime galère qui pourrait bien laisser sur le carreau un certain nombre de vignerons privés économiquement d'oxygène. En signe de soutien, Bertrand Joinville, d' Ô Gré du vin à Dijon, à embouteillé l'air de leurs parcelles pour attirer l'attention des pouvoirs publics sur une situation qui devient critique pour beaucoup d'entre eux. Affaire à suivre...