La Carbonelle carbonisée
2019, l'année des extrêmes. Cette année, le printemps a été froid et la vigne a gelé. Au Nord. Cette année, l'été a été chaud et la vigne a grillé. Au Sud. Et ce n'est peut-être pas fini. +45°C dans le Gard et l'Hérault le 29 juin, record explosé dans beaucoup d'endroits, où les cultures ne se relèveront pas. Un signal d'alarme, un carton rouge chaud bouillant que la Terre nous adresse en pleine face sans que cela renvoie aux vestiaires les fautifs, ou plus exactement les complices de ce réchauffement climatique catastrophique, nous, vous, tous. Dont la majorité rejette la faute sur le voisin sans réévaluer, ni corriger ses pratiques, se disant que ça va bien aller.
Ce texte, signé Catherine Bernard, vigneronne hérault-ïque à Saint-Drézéry, dont la parcelle emblématique de la Carbonelle (qui se dore sous le soleil de juin 2017 sur le cliché ci-dessus) vient de subir de plein fouet les effets de la canicule, vous pourrez aussi le retrouver demain sur le blog du Taulier Jacques Berthomeau, sans doute assorti de ses propres commentaires. Loin de moi l'idée de vouloir lui griller la politesse, mais je le diffuse également, avec l'autorisation de Catherine Bernard, en espérant qu'il puisse toucher un maximum de gens.
Le coup de chalumeau dans les vignes du Midi n’est pas une calamité agricole
Je suis vigneronne.
Je n’écris pas en qualité de vigneronne.
Je n’écris pas non plus en qualité de vigneronne victime d’une calamité agricole, d’une catastrophe naturelle ou d’un accident climatique. Ce qui s’est produit dans les vignes du Gard et de l’Hérault vendredi 29 juin, est d’une tout autre nature, d’un tout ordre, ou plus exactement d’un tout autre désordre.
J’écris en qualité de témoin du changement climatique à l’œuvre, qui est en fait un bouleversement, qui ne concerne pas ici des vignerons, là des arboriculteurs, hier des pêcheurs, demain des Parisiens asphyxiés, mais bien tous, citadins ou ruraux, habitants du Sud comme du Nord, de l’Ouest, ou de l’Est.
J’écris en qualité d’hôte de la terre. Nous sommes chacun, individuellement, interdépendants les uns des autres.
J’étais vendredi matin dans les vignes pour faire un tour d’inspection des troupes et ramasser des abricots dans la haie de fruitiers que j’ai plantée en 2010 entre les terret et les cinsault. Il faisait déjà très chaud. Je ne sais pas combien, je ne veux pas ouvrir le livre des records. Je suis rentrée au frais, et je me suis plongée dans la lecture d’un livre passionnant, La vigne et ses plantes compagnes de Léa et Yves Darricau. J’ai repoussé la plantation de 30 ares de vignes à l’origine programmée pour cette année, à plus tard, à quand je saurai comment et quoi planter. Je cherche. A 18 heures, Laurent, mon voisin de vignes avec qui je fais de l’entraide, m’appelle :
Là-haut à Pioch Long, les syrah sont brûlées.
Comment ça brûlées ?
Oui, brûlées, les feuilles, les raisins, comme si on les avait passé au chalumeau.
J’ai pris ma voiture, et je suis allée dans les vignes. Quand j’ai vu à La Carbonelle, les grenaches, feuilles et grappes brûlées, grillées, par zones, sur la pente du coteau exposée sud-ouest, je n’ai pas pensé à la perte de la récolte. J’ai vu que certaines étaient mortes, que d’autres ne survivraient pas. Il faisait encore très très chaud et j’ai été parcourue de frissons. La pensée m’a traversée que c’était là l’annonce de la fin de l’ère climatique que nous connaissons, la manifestation de la limite de l’hospitalité de la terre. Puis je suis passée sur le plateau de Saint-Christol, là où depuis le XIIème siècle l’homme a planté des vignes pour qu’elles bénéficient pleinement des bienfaits du soleil et du vent. Et là, à droite, à gauche, j’ai vu des parcelles de vignes brûlées, grillées dans leur quasi totalité.
Il y aura des voix, celles des porte-parole des vignerons, chambre d’agriculture, représentants des AOC, et c’est leur rôle, pour évaluer les pertes de récolte, la mortalité des ceps, et demander des indemnisations.
Il y aura les voix invalidantes de la culpabilité, celle des gestes que l’on a faits dans la vigne les jours précédents et que l’on n’aurait peut-être pas dû faire, ou ceux que l’on n’a pas fait et que l’on aurait dû faire. Et si j’aurais su…. A ceux-là, je réponds, les si n’aiment pas les rais.
Il y aura des voix pour dire qu’à cela ne tienne, on va généraliser l’irrigation, et si cela ne suffit pas, eh bien on plantera des vignes, plus haut dans le Nord, ailleurs. Peut-être même y en aura-t-il pour s’en réjouir. A ceux-là, je réponds qu’ils sont, au mieux des autruches, au pire des cyniques absolus et immoraux, dans les deux cas des abrutis aveugles.
Ce qui s’est produit ce vendredi 29 juin dans les vignes du Midi, est un avertissement, un carton rouge. Ce n’est pas seulement les conséquences d’un phénomène caniculaire isolé doublé d’un vent brûlant, mais la résultante de trois années successives de stress hydrique causé par des chaleurs intenses et de longues périodes de sécheresse qui, année après année, comme nous prenons chaque année des rides, ont affaibli les vignes, touchant ce vendredi 29 juin, celles qui étaient plantées dans ce qui était jusqu’alors considéré comme les meilleurs terroirs. C’est aussi la résultante d’un demi-siècle de pratiques anagronomiques.
La Carbonelle est plantée de vignes depuis 1578. C’est un mamelon en forme de parallélogramme bien exposé au vent et soleil. Ce qui s’est passé le 29 juin, dit que l’ordre des choses s’est littéralement inversé. Le vent et soleil ne sont plus des alliés de l’homme. La solution de l’irrigation est la prolongation d’un défi prométhéen. On se souviendra qu’il lui arrive quelques bricoles à Prométhée. Cela dit aussi que le changement va plus vite que la science agronomique et ses recherches appliquées, cela nous précipite dans un inconnu. Il nous faut radicalement changer notre rapport à la terre, ne plus nous en considérer comme des maîtres, mais des hôtes, que l’on soit paysan ou citadin.
Ceux qui voudraient circonscrire à la viticulture du Midi ce qui s’est produit le 29 juin s’illusionnent. Le phylloxéra a été identifié en 1868 à Pujaud dans le Gard. Les vignerons des autres régions ont cru ou feint de croire qu’ils seraient épargnés. En 1880, le puceron avait éradiqué la totalité du vignoble français, et gagné toute l’Europe. Le phylloxéra était lui-même la « récompense » de notre quête du mieux, du plus. Il a été à l’origine de la seule grande émigration française et d’une reconstruction du vignoble qui a profondément changé l’équilibre même de la vigne. Nous en sommes les héritiers directs.
Ceux qui voudraient circonscrire le phénomène à la viticulture se dupent aussi. La vigne nous accompagne, sur notre territoire, depuis plus de deux millénaires, et l’homme depuis plus de 6 000 ans. Sa culture est tout à la fois un pilier et un symbole de notre civilisation. Si la vigne n’a plus sa place dans le Midi, l’homme ne l’aura pas davantage car le soleil et le vent seront brûlure sur sa peau.
Nous, vignerons, devons en tout premier lieu renouer avec la dimension métaphysique de notre lien à la terre et alors, nous pourrons changer radicalement nos pratiques. Mais il faudra autant de temps pour retricoter ce que nous avons détricoté. L’œuvre elle-même est vaine si par ailleurs, nous, vous, moi continuons à prendre l’avion comme nous allons promener le chien, goûtons aux fruits exotiques comme si on les cueillait sur l’arbre, mettons la capsule dans la machine à café comme un timbre sur une lettre, ainsi de suite. Ce que les vignes disent, c’est que notre civilisation elle-même est menacée.
Les abeilles l’ont aussi dit, avant la vigne. Mais nous ne les avons pas entendues.
Catherine Bernard
Commentaires
Tout à fait d’accord ! Mais l'homme ne cherche que la rentabilité sans se rendre compte que la nature a déjà beaucoup souffert devant de tels agissements
Ma soeur, qui vit à Grenoble, vient de m'envoyer l'article de Catherine Bernard.
Je ne sais pas comment elle est tombée dessus mais c'est tant mieux.
J'habite à Saint Bauzille de Montmel, une des communes limitrophes de Saint Drézéry. Nous avons vécu le coup de chalumeau dont Catherine parle.
Je lis beaucoup sur ce qui va nous arriver, Cyril Dion, Pable Servigne et Raphaël Stevens... et même Fred Vargas qui tire la sonnette d'alarme dans son dernier ouvrage qui cette fois n'est pas un roman policier.
Mais je trouve ce texte encore plus puissant.
Les scientifique disent, depuis longtemps. On ne les entend même pas.
Les gens de la terre disent à leur tour, j'espère, pour mes petits enfants, qu'on va les entendre.
Je dois le faire suivre ce texte à un maximum de gens.
Ne vous en privez pas, Christophe. Faites suivre...
C'est très bien écrit, j'espère que nos décideurs vous entendront car nous seuls citoyens ne sommes qu'une partie de l'équation et beaucoup reste à faire sur le plan politique.
Ces mots arriveronts-ils à faire écho ? On ne peut que l'espérer...