La grande bataille d'Anjou
Anjou, terre d'Histoire, de châteaux, d'histoires, de batailles, au cours des siècles. Et ce n'est toujours pas fini!
En 1214, la bataille de la Roche aux Moines a fait rage, quand un lointain ascendant de Nicolas Joly a assiégé le Château de la Roche aux Moines pour asseoir définitivement la renommée de la Coulée de Serrant au firmament des grands terroirs de Savennières.
En 1421, la bataille de Baugé acte la défaite des Anglais, aussi cinglante que celle qu'ils ont vécu dans le Tournoi des 6 Nations en 2020, en plein marathon du Food'Angers.
En 1620, la bataille des Ponts de Cé est une "drôlerie" entre un Roi et sa mère, un conflit des générations qui n'est pas sans rappeler celui, très récent, entre un certain cépage angevin et son parent génétique, d'origine jurassienne.
En 1793, à la bataille de Saumur, les soldats de la Dive bouteille, retranchés dans les Caves Ackermann, ont réussi à repousser les hordes de dégustateurs arrivant d'Angers. Voilà qui nous change un peu des guerres de Vendée. Vive celle des salons de vins!
En 2020, la grande battle d'Angers, culinaire, œnologique et amicale, a opposé l'Anjou et le Jura dans le cadre de la 4ème édition du Food'Angers. C'est elle qui nous intéresse aujourd'hui. Vous pouvez refermer vos livres d'Histoire, je m'en vais vous la conter.
Food'Angers, l'événement qui porte bien son nom, a été créé dans l'optique de faire d'Angers la capitale gastronomique mondiale au cœur de l'hiver. S'appuyant sur les salons off encadrant celui des vins de Loire, réservés aux professionnels, il les fédère dans le périmètre de la vieille ville, en leur greffant une foultitude de micro-événements à destination du grand public. C'est ainsi que l'année dernière a eu lieu, entre autres, le procès de la biodynamie au tribunal d'Angers, avec Maître Éric Morain comme avocat de la défense des vins naturels. Un tribunal des flagrants délires œnologiques, qui s'est joué à guichets fermés et que l'on peut toujours visionner sur le net. Cette année, point de procès, on en vient aux mains. Surgie du cerveau fertile de Magalie Rouiller, chargée de la promotion du territoire à Angers Loire Métropole, cette "battle" amicale n'aurait pu voir le jour sans la participation active de Bruno Ciofi, le plus jurassien des vignerons angevins, transfuge du domaine de La Pinte à celui de la Sansonnière à l'occasion du mercato 2016, pour des raisons que le cœur ne saurait ignorer. Convoquant le ban et l'arrière-ban, tant jurassien qu'angevin, il a mis sur pied un plan de bataille imparable, gage d'une soirée inoubliable, où mets et vins d'Anjou et du Jura s'affrontèrent dans une joute culinaire et œnologique des plus amicales, au grand dam de tous ceux qui auraient préféré voire l'une des deux régions aplatir l'autre dans un crunch physique et engagé. Soixante-dix convives, un traiteur (Bon Betend), deux chefs (Lionel Gelineau et son second Guillaume Vacante) qui se sont répartis les tâches et les régions, deux entrées, deux plats, deux fromages, deux desserts, issus de chacune des deux régions, avec, à chaque fois, deux vins servis à l'aveugle en verres noirs. 4 accords à tester, un seul choix à faire. Ou pas. Compte-rendu détaillé en images par notre envoyé spécial en zone de conflit.
Premier round avec deux fleurons de la gastronomie mycologique des deux régions. Galipette angevine vs croûte aux morilles. La galipette, figure imposée dans le Kama Sutra culinaire des douceurs angevines plutôt salées, c'est un bon gros chapeau de champignon de couche farci. La croûte aux morilles jurassienne, revisitée en bouchée, se laisse casser avec délectation. Accord croisé plutôt réussi. Désirade, sauvignon blanc d'Anjou noir, issu de la Terre de l'Elu, a choisi la morille, tandis que le poulsard jurassien des Trouillots gardait les pieds sur terre et régalait sur la galipette. 1-1.
Rendez-vous manqué en ce qui concerne les plats de résistance, les forces en présence se sont gourrées de champ de bataille. Délicieux poulet à l'angevine, pour lequel le Chef Lionel Gelineau s'est autorisé une variante au vin rouge, et non moins bonne saucisse de Morteau aux lentilles, cuisinée au vin blanc par Guillaume Vacante. Le chenin et le savagnin, sélectionnés et assumés par l'architecte en chef, Bruno Ciofi, se sont ratatinés sur les deux plats, qui auraient bien mérité un grolleau ou un poulsard. On ne s'est d'ailleurs pas privés d'une petite lichette, résiduelle de l'accord précédent. Sur un plan purement gustatif, la filiation entre les deux cépages est apparue évidente. Génétiquement, le chenin, c'est un papa, le savagnin, et une maman, la sauvignonasse. À moins que ce ne soit l'inverse, les raisins comme les anges ne sont ni sexués, ni genrés. On se demande pourtant dans quelle parcelle ils sont bien pu se rencontrer, ces deux-là! Grande richesse du Savennières 2015 de Damien Laureau, un bien bel ouvrage, et magnifique tension de l'Arbois savagnin 2016, de Samuel Berger au domaine de la Pinte, les deux vins étant tout à fait complémentaires dans un registre différent. Un accord sans accord, mais tout était bien bon. 0-0.
Pour le fromage, il a été fait appel au plus comtois des fromagers angevins, Nicolas Ducret, qui connait sur le bout de la langue toutes les subtilités laitières des deux régions, dont il a fait une petite présentation générale, claire et concise en préambule à la soirée. Pour représenter le Jura, le comté était une évidence. Un fromage d'été 2017, en provenance des bords du lac Saint-Point, affiné par l'excellentissime Fabrice Michelin. Sans doute moins facile de trouver un fromage angevin aussi emblématique, même si l'Anjou regorge de spécialités fermières de qualité. Le choix de Nicolas s'est porté sur le contraste, avec un Rouzon de Beaucouzé, petit fromage à la pâte plus moelleuse que le comté, affinée à la Piautre, une bière locale. Là encore, une tentative audacieuse d'accord, associant un rouge de Loire (Maupiti 2018 de la Terre de l'Élu) et un Arbois jaune 2009 du domaine de la Pinte. L'accord régional a fait fureur, c'était prévisible. Comté et vin jaune furent fusionnels, comme à l'accoutumée. Maupiti, assemblage de trois cépages rouges angevins (grolleau, gamay et cabernet franc), s'est entendu à merveille avec le Rouzon. 1-1.
Dernière manche de cette battle, les desserts. Un assaut final qui pouvait permettre de départager les combattants dégainant leurs dernières cartouches. Délicieux crémet d'Anjou contre succulente pomme confite aux épices, coing et vin jaune. Le choix des vins fut déterminant. Ze Bulle, Zéro pointé, de Béret et Cie, pétillant naturel angevin élaboré par Bruno Ciofi, (d'après la méthode de Philippe Gourdon, qui consiste à utiliser le gaz issu de la fermentation, récupéré à l'aide d'un gros ballon, pour produire la bulle), avec sa délicate sucrosité et ses petites notes de fruits rouges, a fait fureur sur le crémet comme sur la pomme, remportant haut la main le duel qui l'opposait à l'Alter natif de Valentin Morel, un pourtant très beau Crémant du Jura au fil tranchant comme un rasoir, absolument pas à sa place sur quelque dessert que ce soit. Zéro pointé aussi pour lui, donc. Mais dans un contre-emploi. 1-0.
Au final, victoire de l'Anjou par KO au dernier round, suite à une traîtrise de la part du vigneron-architecte de la soirée, un coup bas dont on ne lui tiendra absolument pas rigueur, tant cette victoire, très longue à se dessiner, n'a en fait vu aucun perdant. Tous les convives sont ressortis repus et enchantés des salons Curnonsky, où s'est déroulée la battle, ultime hommage au grand gastronome qui plaçait la Coulée de Serrant et le Chateau Chalon au panthéon des grands vins de ce monde. Et, comme on l'a vu plus haut, tel un Darth Vador ébranlé par les coups de boutoir-laser de Luke Skywalker, le savagnin a pu dire, droit dans les yeux du chenin qui venait de lui transpercer le cœur: "Mais, Luc, je suis ton père!".
P.S.: dans le cadre du Food'Angers, on pouvait également participer à des ateliers de taille à la vigne d'Angers, sise au cœur de la ville, dans les magnifiques jardins de l'Abbaye Saint-Nicolas. Je m'y suis rendu le dimanche matin, en catimini , mais en compagnie d'un des maîtres de chai bénévoles du lieu et de quelques collègues de goulot.
Un bien bel endroit, une bien belle philosophie et un bien bon vin, du chenin 2019, goûté sur les trois barriques actuellement en cours d'élevage. Merci et bravo Fifi! Tu es en passe d'être Leroy d'Angers.
Commentaires
Un ascendant de Nicolas Joly, pas un descendant (ou bien il ne fait pas son âge...)
Tout à fait, Hervé. Quel œil! Mais celui qui monte finit toujours par redescendre un jour...
Un délice de vous lire en buvant un bon verre de vin. J'ai appris beaucoup ce soir grâce à vous, merci !