Tombé en dévotion pour cette barrière montagneuse, parce qu’on n’en a jamais fini avec lui, c’est bien du Dévoluy dont je veux parler. Ces sommets, qui me sont pour la plupart inaccessibles, me fascinent, tant ils en imposent. Depuis la terrasse de mon gîte, l’Obiou me nargue chaque soir, jusqu’à en rougir, avant de s’éteindre à la nuit tombée. Mais je sais qu’il est là, à me toiser, du haut de ses 2789 mètres. 1789, c’est tout juste l’altitude qui nous sépare. Presque une révolution, en fait.

Première piqûre d'Aiguille

Sans aller jusqu’à cette extrémité, même à la veille du 14 juillet, la première sortie dominicale, censée être une mise en jambes depuis la maison de location, a permis de combler un premier loupé de l’année dernière. La montée à l’Aiguille par l’alpage suspendu de Rochassac, puis le col de l’Aiguille, justement. L'Aiguille du Trièves, parce qu’il y en a beaucoup d’autres. Dôme arrondi aux airs débonnaires, sur son versant Sud, le sommet de l’Aiguille (2037 mètres) offre un panorama de premier choix sur la face Nord-Ouest de l’Obiou et l’arête de Ratier (photo à la une du post). Vingt bornes pour 1200 mètres de D+, on a attaqué plutôt fort. Mais le panorama imprenable sur le massif de l’Obiou valait tous les efforts du monde. Et l’eau fraîche coulant à la fontaine de Rochassac tous les meilleurs vins glouglou que j’aurais jamais pu boire tout là-haut.

Ouverture de Brèche

Au Nord, c’étaient les corons, mais, de façon beaucoup plus rapprochée de l’Aiguille, c'était pour nous le Châtel, ou Bonnet de Calvin, un mont oblong aux raides pentes herbeuses, mais arrondi en son sommet, couronné d’une prairie suspendue au-dessus de trois barres rocheuses. L’ascension n’était pourtant pas au programme de ce jour caniculaire. Nous n'avons ouvert qu'une brèche. Celle du col éponyme, 700 mètres de D+ par le ruisseau des Pavés, au départ de Cordéac, une petite promenade de santé ludique et pédagogique, repérée sur Altitude Rando. L’avantage de rester à l’ombre et près d’un cours d’eau quand il fait si chaud.

« Encore un col! », s’est exclamée, la mine contrariée, Madame Olif, qui a une fâcheuse tendance à ne viser que le summum, même si le « un cran en dessous » est susceptible de faire suffisamment son office, en ce qui me concerne. Et c'est le col ouvert, celui de ma chemise, qui m'a valu un premier coup de soleil sur le poitrail. Le col géographique de la Brèche, lui, monte jusqu'à 1659 mètres d’altitude et constitue une bonne approche du Châtel, colonisé par les troupeaux de moutons en ce début juillet. On ne va pas regretter éternellement de ne pas être allés chercher des poux et des patous sur la tête à Calvin.

D’Aiguille en Aiguille, sans perdre le fil

Il me faut bien admettre que, la veille, le parcours était déjà cervical. Et piquant comme une aiguille, aussi. Celle du Haut-Bouffet, entre Tête de Vachères et Roc de Garnesier. Le Vallon des Aiguilles est l'’un des itinéraires incontournables pour des premiers pas réussis dans le Dévoluy, d’après David Genestal, infatigable randonneur et griffonneur de Carnets. Sauf que voilà ! Sur IGN, l’itinéraire emprunté par le GR 93 comporte des petits pointillés, en surplomb de la cascade de Saute-Aure. Et le Papet, homme sage et mari d’une collègue, m’a dit un jour, il y a bien longtemps de cela, suite à une randonnée alpine compliquée avec passages délicats: « S’il y a des petits points sur la carte IGN, n’y va pas! » Jusqu'à présent, je n'y étais jamais allé. Alors, j’ai  étudié les différents topos et jaugé les avis. « Aucune difficulté, un court passage nécessite de l’attention », d’après Pascal Sombardier, infatigable explorateur d'itinéraires vertigineux et qui n’a pas peur de grand chose en matière de randonnée alpine. Donc, méfiance quand même. Pour David Genestal, c'est « un bémol technique qui exigera toute l’attention du randonneur débutant en montagne ». Alors passera, passera pas? Je ne suis plus vraiment un randonneur débutant, l'âge venant, même si je crains toujours, voire un peu plus, les passages trop engagés ou exposés. Allez, courage! On va se les passer, ces petits points rouges sur la carte IGN! De fait, il s'agit d'un gentil escalier dévoluard, plutôt aérien, donc un peu exposé, mais sans réelle difficulté. Potentiellement impressionnant à l'aller, il se négocie mieux au retour, dans le sens de la montée. Mais cela vaut réellement le coup de se surpasser pour pénétrer dans ce fameux Vallon des Aiguilles, où serpente un cours d'eau qui donne vie à la cascade saisonnière de Saute-Aure, lorsqu'il est alimenté par la fonte des neiges. Gagner le Col des Aiguilles n'est plus qu'une formalité, pour profiter de la vue sur le Vallon de la Jarjatte et la barrière Est du Vercors. L'ascension du Haut-Bouffet (2161 mètres), relativement aisée par son versant Est, malgré son aspect acéré et vertical côté Jarjatte, reste une option, à laquelle nous n'avons pas souscrit ce jour-là.

Incursion dans le wilderness! 

Et quasiment champion olympique. Deux ans! Cela fait bientôt deux ans qu'une image du versant Est des Ferrand, grand et petit, traîne sur le fond d’écran de mon ordinateur. Une photo prise par Pascal Sombardier, lors du passage qui lui sert d’introduction à l’ascension de ces deux géants, qui ne sont pas de Clermont, par la Crête de l’Étoile. Celle figurant ci-dessus est la mienne, elle est d'ailleurs un peu moins réussie, mais, comme c’était le but ultime de ce nouveau séjour dévoluard, ma quête du Graal, je suis comblé. La remontée du Vallon des Villards, puis du pierrier qui surplombe la Combe du Goutourier fut quand même une bonne bavante, comme dit Paco, caviste au sommet et à la langue bien pendante, qui a aussi un bon coup de godillot quand il le faut, dans les Alpes ou les Pyrénées. Cinq kilomètres pour 1000 mètres de dénivelé, un bon 20% de moyenne, si mon calcul est juste. Tout ça dans le but de voir, « pour de vrai », la Vire et le Chourum Olympiques. À prononcer « chourain » pour ne pas passer pour un plouc aux yeux des authentiques Dévoluards, qui voient quand même, sans doute, défiler quelques Parisiens et autres citadins friands de randonnée alpine, généralement à skis, donc essentiellement en hiver. Madame Olif, plutôt réticente à la pratique d'un itinéraire sauvage, hors sentier, a fini par y prendre goût. Il faut dire que, en toute modestie, j’ai été particulièrement brillant dans la lecture du terrain. Pas trop de mérite, pourtant, après avoir potassé différents topos depuis tout ce temps. Même pas eu besoin de jeter un coup d’œil à la carte, une fois sur place. Là-haut, c’est juste magique et grandiose, une éternité qui ne dure qu’un instant, que l'on aimerait bien pouvoir prolonger jusqu'à la fameuse vire pour y décrocher une médaille, mais, avant de viser un podium, il serait préférable de penser à redescendre sur terre. Une ramasse en pierrier plutôt bien négociée, suivie d’une descente millimétrée du Vallon des Villards, quasiment dans les pas de l’ascension de façon instinctive, bref, une totale satisfaction de l’effort accompli et de ma capacité à, parfois, tenir mes objectifs, l'important étant de participer, comme disait fort à propos Pierre de Coubertin, à moins que ce ne soit Anne Hidalgo.

Décrassage à Gresse

Le Col de l’Allimas aurait pu être aussi une bonne bavante, s’il s’était agi du gastéropode sans coquille qui laisse des traces visqueuses lorsqu'il se meut en rampant. Mais il n'en fut rien, même si cette petite balade, censée être tranquille pour se remettre du gros effort de la veille, comporte un bon petit dénivelé et, surtout, une pente très raide, dans laquelle il n'est néanmoins nul besoin de ramper, pour accéder à la Crête du Brisou par celle des Alleyrons. La vue à 360° sur le Grand Veymont, le Mont Aiguille (petite piqûre de rappel) et la grande barrière du Dévoluy vaut une nouvelle fois largement l'ascension, que nous avons été les rares à effectuer dans le sens anti-horaire. La descente, progressive et régulière, sur un bon sentier dans la forêt,  jusqu'au col, est plutôt agréable. Rejoindre Gresse est alors un jeu d'enfants, via une large piste partagée avec les vététistes, peu nombreux ce jour-là.

Bivouacs

En montagne, il faut savoir se poser et s'arrêter, notamment pour bivouaquer et se restaurer. Lorsque l'on aime son petit confort, il s'agit de ne pas se louper pour ne pas ajouter de la déception à la satisfaction d'une bonne randonnée.

Côté vin, ce fut essentiellement Jérémy Bricka, le vigneron de Mens, qui nous a régalés, avec son assemblages d'hybrides en provenance d'une parcelle de vignes préservées de plus de 80 ans. Bivouac 2021, un bon coup de pieds dans les étoiles au travers du sac de couchage, une cuvée particulièrement fluide, digeste et désaltérante.

Au rayon bière, la brasserie des Tilleuls de Nyons, connue également sous le nom de bivouak, nous a procuré notre dose d'Adrénaline, leur bière ambrée, maltée et fruitée, dégustée à l'Auberge buissonnière de Gresse-en-Vercors, une adresse hautement recommandable pour son charme, sa simplicité, la qualité des produits et celle de l'accueil d'Anne-Gaëlle et Jérôme.

Et, pour conclure cette journée et ce séjour, un authentique bivouac haut de gamme dans la roulotte du Pin-Lyre, à Saint-Michel-les-Portes, avec tout le confort que le bivouakeur peut espérer après une bonne rando (un bon lit, une bonne douche chaude et des bonnes toilettes sèches), une vue supplémentaire sur le Mont Aiguille en bonus.