Mon ADN à moi, c’est plutôt la moyenne montagne. Des vaches, des paysages vallonnés, des dénivelés tranquilles, mais pas toujours, juste ce qu’il faut pour de bonnes sensations avec le minimum d’adrénaline et, surtout, pas de passages trop exposés et/ou aériens. Encore que... Mais ce ne sont ni la distance, ni le dénivelé qui m’effraient. Juste un peu la trouille, pas toujours justifiée, qui s'aggrave gentiment avec l'âge. Peur de ne pas y arriver, peur de vouloir trop en faire, peur des prendre des risques inconsidérés. Mais il faut parfois se faire violence et oser l’ailleurs, le plus hard, le plus haut, le plus sauvage.  Parce que, si la haute montagne me fait peur, elle m'attire, me fascine et m'impressionne. Et, pour ça, désormais, il n'y a que l'Ubaye qui m'aille!

Après quelques timides incursions en altitude, il y a déjà quelques années (voire plus, comme dans le Haut-Giffre, l’insouciance de la jeunesse, sans aucune condition, ni préparation, juste pour suivre de manière inconsciente un groupe hétéroclite d'amis et flancher dans la dernière portion de l'ascension du Buet, sans parler des trois semaines nécessaires pour m'en remettre physiquement). Puis avec un peu plus de bagage, d’expérience, d’envies et la volonté d’en découdre avec une nature sauvage, on m'a vu dans le Vercors, puis dans le Dévoluy (mon favori, royaume du wilderness, que je n'ai malheureusement pas les capacités de pratiquer autant que je l'aimerais), cette année, on monte d’un cran. Direction la Haute-Ubaye, ses lacs et ses sommets à plus de 3000 mètres, qui ne seront pas au programme, mais on en approche. Une terrain de jeux totalement inédit pour moi, même si je m’abreuve de lectures et de topos sur cette région depuis quelques mois, qui font que j'ai déjà l'impression de bien la connaître. Une bonne étude préalable du terrain, indispensable à un choix éclairé des parcours envisageables, ceux qui paraissent dans mes cordes. Grâce, entre autres à Altituderando, le site et l’application (même si cette dernière m’a fait défaut sur place, suite à un problème technique résolu depuis). Et puis le Guide des plus belles randonnées en Ubaye, d’Anne et Jérôme Renac, paru chez Glénat. Tous ces recoupements effectués, me voilà paré pour affronter la Haute-Ubaye, ses marmottes et ses patous, avec mes propres armes.

Rando Châtelet direction Fouillouse

Si franchir le Pont du Châtelet en voiture pour se rendre à Fouillouse constitue une formalité obligatoire pour le randonneur avide de cols et de sommets, le faire à pied est un préliminaire loin d’être inintéressant, pour profiter du caractère réellement impressionnant du lieu, et cela constitue une bonne entrée en matière pour découvrir la Haute-Ubaye au départ de Saint-Paul. En attendant de se rapprocher des hauteurs...

Perché cent mètres au-dessus de la rivière Ubaye, enjambant un goulet rocheux que l'on voit tout juste venir, ce petit pont de pierre en jette, mais on ne lui en jettera pas. Comment faisait-on pour aller à Fouillouse avant la fin du XIXème siècle et l'inauguration de ce passage? En grimpant dans le mélezen, tiens! Depuis Saint-Paul, en longeant l'Ubaye au préalable. Fouillouse, son hameau, son église, son bar-snack-épicerie-chambres d'hôtes-camping, ses marmottes et ses patous. Première randonnée et première rencontre avec cette police canine des montagnes, qu'il a fallu contourner du mieux possible et c'était juste suffisant. Mais quel bonheur de s'arrêter Chez Bourillon "boire une Brec avec vue sur le Brec pour faire un break". Je savais que je n'allais pas pouvoir me retenir de la faire, celle-ci, mais l'épicier-aubergiste m'a coupé l'herbe sous le pied, en la servant à tous ses clients, à qui il proposait cette délicieuse IPA de la brasserie locale, La Sauvage.

Le topo, c'est sur Altituderando.

Marmotton 1er, Empereur du Saint-Empire du Lauzanier

Il ne faut pas se voiler la face. La portion la plus exposée de cette randonnée est sans aucun doute l’accès en voiture jusqu’au Parking du Pont rouge depuis Larche. Éviter les nids de poule sans basculer dans le ravin relève presque de l’exploit. Et, surtout, "pourvu que personne n’arrive en face !", prière inconsciente formulée à chaque virage sans visibilité, en espérant ne pas avoir à reculer vers l’un des rares points de croisement observés le long de la route. À tel point que, entre le 14 juillet et la fin août, des navettes sont mises en place au départ de Larche, où il est obligatoire de garer sa voiture lorsque l’on arrive aux heures de pointe, entre 10 heures et 16 heures. La meilleure option, c’est sans doute alors de partir du Parking du Pontet, sous le Col de Larche, ce qui permet de rejoindre le Pont rouge à pied au prix de quelques centaines de mètres de marche supplémentaires.

La première partie du vallon est particulièrement accessible, même en cas de mobilité réduite, la piste ayant été aménagée à cet effet. On passe devant la "nurserie" des marmottons, un espace de tranquillité qui leur est réservé et qui permet de les observer de relativement près sans (trop) les déranger, puis on continue de remonter gentiment la rive gauche de l’Ubayette. La piste devient sentier et s’élève pour faire sauter le verrou qui amène au Lac du Lauzanier. La foule est au rendez-vous, volontiers allongée dans l’herbe, et les marmottes, peu farouches, n’hésitent pas à s’approcher, espérant grappiller quelque pitance qu’il est théoriquement interdit de leur donner, pour ne pas leur nuire en modifiant leur régime alimentaire. Pas sûr que tout le monde respecte cette interdiction, vu leur comportement. Mais il est vrai qu’elles sont tellement craquantes, ces petites boules de poil !

Pour plus de tranquillité, l’option Lac de derrière la Croix est très tentante. Un deuxième verrou à faire sauter, un névé à franchir, l’Ubayette à traverser dès que possible (le gué sur le sentier, en ce début juillet, risquant de submerger nos chaussures, même montantes, un photographe de bouquetins, croisé juste avant le névé, nous a conseillé de poursuivre dans l’éboulis rocheux en rive gauche afin de trouver un endroit plus propice, où l’eau serait moins haute pour le faire) et, enfin, sous la Croix, derrière aussi, apparaît le fameux lac bien nommé, paisible, Quelques marmottes s’ébrouent et se chamaillent au bord de l’eau, au milieu des randonneurs et des randonneuses en pause pique-nique.

À partir de là, il y a possibilité d’en faire un peu plus en montant à la Croix, au Pas de la Cavale ou aux Lacs des Hommes, blottis sous la Bosse du Lauzanier. Sachant qu’il faudra refaire le même chemin en sens inverse pour redescendre.

Longue (mais accessible), un peu fréquentée (mais pas trop quand même, en ce début juillet), évoluant dans un cadre somptueux (qui aide à surmonter la rectitude de l’itinéraire), riche en belles rencontres (des bouquetins et des marmottes, mais aussi des photographes naturalistes), cette randonnée place d’emblée la barre très haut, quand il s’agit de découvrir la Haute-Ubaye.

Le topo, c'est sur Altituderando.

Marche ou Crévoux

Hébergés dans le Col de Vars, versant Ubaye, il nous fallait bien aller voir ce qu'il y avait de l'autre côté, dans le Queyras. De façon non surprenante, de l'autre côté, il y a Vars, village qui a donné son nom au col et station la plus rapide du monde. Pas à vélo, même si le Tour de France devait y passer la semaine suivante, mais à skis, tout schuss, en descendant le Pic de Chabrières. Le contraste avec la Haute-Ubaye est saisissant. Non pas que les sommets des Hautes-Alpes ne soient pas jolis, mais la montagne aménagée et domestiquée, afin que l'on puisse s'y adonner aux plaisirs de la glisse et de la descente, n'a pas le même cachet que la beauté sauvage des espaces laissés à disposition de la nature, comme dans le Massif du Chambeyron. Forcément, il y a moyen de faire un peu de dénivelé, via, entre autres, cet itinéraire un peu improvisé, non balisé de façon idéale, emprunté de surcroît à contresens, qui nous a conduit au Col du Crévoux, à 2500 mètres et une brouette. Via une piste rouge assez costaude à la montée, et un parcours de kart des montagnes complètement désert à la descente. La montagne artificialisée des stations ne nous gagne pas toujours, mais il y a tout de même moyen de se faire plaisir lorsque l'on y emprunte des passages légèrement plus secrets, non dénués de charme.

Ébréché et colorié 

C’était la randonnée phare du séjour, le must do absolu, la grande classique qu’il faut absolument avoir faite, surtout lors d’un premier séjour en Haute-Ubaye: le Lac des Neuf Couleurs. Une rando « familiale » , pour laquelle il faut quand même tenir compte de la distance (18km) et du dénivelé (1000 mètres), ce qui n’est pas rien, même en cas de famille unie au départ, n'envisageant pas de perdre ses jeunes enfants dans les névés afin de pouvoir subsister. Fort heureusement, nous n’en avons pas, d'enfants. Ou alors il y a longtemps. Ou bien ils sont largement trop grands. Ou ils ont déjà lu les contes de Perrault. Ce qui laisse également supposer l’absence de passages difficiles ou délicats, susceptibles de précipiter une éventuelle succession anticipée. De la bonne grosse rando, mais abordable à tous et à toutes. Monter à Fouillouse est déjà en soi une première expérience qu’il faut avoir vécue. Nous l’avions expérimenté trois jours auparavant, à pied depuis Saint-Paul (voir chapitre précédent). En voiture, c’est encore autre chose. Lacets, pont suspendu, tunnel, route étroite où tout croisement est impossible, sous peine de basculer dans le ravin, tout ce qui fait le charme des petites routes de montagne, nous l’avons éprouvé sur quelques kilomètres. Autant dire tout de suite que nous en avons vu de toutes les couleurs, même si je n’ai pas pris le temps de les compter. Lac au nom intriguant dont j’ai eu du mal à trouver l’explication, celui-ci viendrait des neuf couloirs descendant de l’aiguille du Chambeyron, neuf coulures qui sont d’anciennes langues glaciaires devenues exclusivement rocheuses, mais qui continuent à subir des phénomènes de fluage comme la glace vive. Hypothèse plus que plausible d'une déformation volontaire d'un nom pour l'enjoliver, rapidement mise à mal par l’aubergiste-épicier de Chez Bourrillon (encore lui), où nous nous sommes arrêtés acheter du pain pour les sandwiches. Si l’on reste suffisamment longtemps au bord du lac, on pourrait le voir passer par neuf couleurs différentes, au fil des saisons. Pas complètement convaincant, d’autant plus qu’en ce début juillet 2024, il est majoritairement blanc, encore encombré d’un gigantesque glaçon qui ne laisse entrevoir qu’incomplètement le bleu de ses eaux. Pour le reste, la montée au lac des Neuf Couleurs, en traversée sous les trois brecs de la Souvagea jusqu’au refuge de Chambeyron, près du lac Premier, puis le cheminement le long du Lac Long et la descente minérale au milieu des névés et des énormes blocs rocheux, minuscules débris de cette grosse dent ébréchée qu'est le Brec du Chambeyron, par le pas de la Couletta, est un moment juste sublime. La haute montagne n’est pas dans mon ADN, mais elle m’a gagné haut la main.

Le topo, c'est sur Altituderando.

L’Orrenaye sebasto cha

Ce sous-titre en forme d'à-peu-près ne parlera sans doute qu'aux fans d'Hubert-Félix, monumental chanteur jurassien à la discographie bien remplie. "Et je te dis "Reviens maintenant c'est mon tour de t'offrir le voyage pour" ... le col de Ruburent et le Lac de l'Orrenaye, c'est bien moins loin que les Galapagos. Une randonnée classique et également familiale qui nous conduira jusqu'à la frontière italienne, comme en atteste la présence de la Croix de Savoie sur les bornes frontière*. Montés à contre-courant des randonneurs, Italiens pour beaucoup, en raison d’un départ tardif en début d’après-midi, nous sommes redescendus en fin de journée, quand un troupeau de moutons montaient prendre ses quartiers d’altitude. Deux bons gros patous placides (et Muzo), en pause syndicale, allongés sur le sentier et occupés à ronger leur frein en même temps qu’un bout de bois, ont tout juste daigné nous regarder passer entre eux deux, sans même lever la truffe. Cent mètres plus loin, il a fallu se frayer un chemin en plein milieu du troupeau bêlant, sans non plus déclencher une quelconque ire ou intervention de la police canine des montagnes.

Le topo, c'est sur Altituderando.

* Le grand Duché de Savoie faisant alors partie intégrante du Royaume de Piémont-Sardaigne

Stop ou en Caurres ?

Météo capricieuse pour ce dernier jour en Haute-Ubaye, avec gros orage en fin de nuit et temps changeant avant un nouvel épisode pluvio-venteux à l'heure de l'apéritif du soir, en terrasse, qui a balayé sauvagement les tables de jeux en terrasse du café-gîte-épicerie-table d'hôtes La Souste, sans aucun doute l'un des plus beaux endroits sur terre quand on niche à Saint-Paul-sur-Ubaye. Récemment repris par un jeune couple sympathique, talentueux et dynamique, on trouve de tout, à La Souste. C'est-à-dire le kit de survie indispensable pour combler et sustenter le randonneur de passage, façon circuit court, ce qui inclut évidemment les Hautes-Alpes voisines, où Mellila et Maugan s'ont allé dénicher les vins du Domaine du Petit Août, de Yann De Agostini.

Inutile de préciser que nous n'avons pas craché dessus, notamment sur cette Mémoire Neuve 2023, pourtant un très beau mollard. Cépage autochtone des Hautes-Alpes, le mollard donne ici un vin souple et fruité, à la rusticité alpine affirmée, mollard signifiant plutôt "petite montagne" que glaviot, ici. Totalement en phase avec mon ADN vinique.

L'offre gastronomico-culturelle est par ailleurs pléthorique à Saint-Paul-sur-Ubaye, 170 habitants à l'année, beaucoup moins que de marmottes, sans aucun doute. Outre La Souste, on peut se cultiver à L'Encabanée, café-librairie-chambres et tables d'hôtes, où des causeries passionnantes avec des auteurs locaux sont régulièrement organisées tout l'été, et acheter son pain, bon, bio et à l'ancienne, chez un boulanger atypique, L'Eco-pain. Ciel changeant, donc, qui nous a conduits à ne pas trop en faire côté rando et y ajouter une dimension historique en allant étudier de près l'architecture militaire du Fort de Tournoux et plus précisément de la Batterie des Caurres, surplombant la Condamine-Châtelard, vestige du passé militaire de l'Ubaye, dernier bastion avant l'Italie, du temps où cette dernière nous cherchait volontiers querelle, et pas uniquement à cause de la façon d'accommoder les pâtes. Une petite randonnée tranquille  qui conduit jusqu'au fort, en cours de réhabilitation, au départ du petit village de Tournoux et de son cimetière suspendu au bord du vide.

Difficile de trouver le belvédère escompté sur le confluent de l'Ubaye et de l'Ubayette, il eût sans doute fallu monter jusqu'au Serre de l'Aut, à 2000 mètres pour profiter d'une vue élargie sur la vallée. Néanmoins, mission accomplie pour ce petit décrassage entre deux coups de tonnerre pacifiques, tirés bien au-dessus de la batterie des Caurres.

Tourtons pour les Dalton

Quando se come aqui? Ou plutôt Couacouamekiki, en langage daltonien, version Averell. Les accointances de Barcelonnette avec le Mexique ne datent pas d'hier, mais plutôt du XIXème siècle, quand les Ubayens y ont émigré pour faire fortune. À leur retour, les plus riches ont fait construire des villas d'inspiration mexicaine qui contribuent pour beaucoup aux charmes de l'endroit. Une seule se visite, léguée à la ville par les descendants de son propriétaire initial et devenue depuis un musée. 

Les Mexicains n'ont pas rapporté dans leurs bagages de tortillas, omelette aux patatas d'origine espagnole, mais les Ubayens ont adopté les tourtons originaires des Hautes-Alpes voisines, plus précisément du Champsaur, et aussi les oreilles d'ânes, genre de lasagnes aux épinards sauvages, dont les feuilles ont la forme de l'appendice auditif d'un bourricot, d'où le nom imagé donné à cette spécialité, une pâte à crêpes venant se substituer à la pâte à pâtes italienne. Décorée d'un peu plus de jaune qu'à l'accoutumée, à l'occasion de la venue du Tour de France la semaine suivant notre séjour, Barcelonnette est une petite ville attractive et ensoleillée, où il doit faire bon vivre, un sombrero sur le nez en guise de parasol*.

La haute montagne n'est pas dans mon ADN, mais pourquoi est-ce que tout me semble un peu plat et sans saveur depuis le retour de Haute-Ubaye?

*Chauffe, Marcel!