Carpentras, fraises, cerises, truffes et berlingots
Carpentras [karpɑ̃tra], capitale du Comtat Venaissin, traversée par l'Auzon et la Mède (dont les crues sont particulièrement craintes des Carpentrassiens, puisqu'elles les laissent dans la Mède, justement), possède une particularité phonétique cocasse [kokas]. Contrairement à Gigondas [ʒigɔ̃das] et à l'instar de Cassis [kasi], aucune trace de [s] lors de la prononciation de son nom. Merveilleuse complexité de la langue française qui permet aux érudits de ramener leur fraise à Carpentras [karpɑ̃tra]!
S'il ne fut pas aisé de photographier un berlingot devant un garage Citroën, même à Carpentras, le temps des cerises du Ventoux a fini par arriver avec plus de 15 jours de retard sur l'horaire initialement prévu. Ce qui a notamment contraint à l'annulation de la traditionnelle fête de la cerise de Venasque. Épreuve reine de ces traditionnelles festivités consacrées au "diamant rouge provençal", le concours de cracher de noyau de cerise peut à défaut se pratiquer à la maison, sur sa terrasse, même en nocturne ou après une dégustation de vins du Ventoux et un repas bien arrosé. Les résultats restent alors généralement confidentiels et controversés, faute d'une bonne luminosité, d'un décamètre opérationnel et d'un arbitrage à la hauteur.
Puisqu'on parle de diamant, le noir vaut bien le rouge, fût-il estival. Logiquement moins réputée que sa variété hivernale, la truffe d'été n'en offre pas moins de belles sensations gustatives, surtout lorsqu'elle est servie à toutes les sauces, avec tous les plats, de l'entrée au dessert. Ce qui est quand même plus goûteux que des patates et du lard, y compris dans une bombe glacée surprise. Chez Serge, à Carpentras, il y en a au menu. De la bonne trutruffe d'été qui se marie à merveille avec les vins du Ventoux. En blanc, par exemple, un Éclat de Fondrèche 2012, juvénile et gouleyant. En rouge, Moitié vide Moitié pleine 2009 de Solence, domaine qui ne fait habituellement pas les choses à moitié, car en bio depuis sa création.
Un Ventoux pour moi tout seul!
Bien avant que des hordes de camping-cars venus de l'Europe entière ne s'installent temporairement sur ses flancs, comme ce sera le cas encore cette année, au détour de la grande boucle du Tour de France, et ce, dans l'unique but de passer une journée sur leur chaise de camping avant de lever 5 minutes leur cul devant les caméras de télévision pour vociférer ou courir derrière une armée de cyclopédistes professionnels carburant à la potion magique customisée, quand ce n'est pas bêtement à l'eau claire, mais alors là, ils sont loin derrière, le Mont Ventoux est la proie d'amateurs de tout poil, qui n'ont eux aussi qu'une idée en tête: grimper au sommet, de quelque façon que ce soit. Quitte à finir sur les rotules ou ramper dans les derniers lacets.
Devant la perspective d'une performance sportive mesurable et quantifiable, Mme Olif, qu'il n'aurait pas fallu emmener au sommet en voiture sans lui laisser la possibilité d'y aller aussi en vélo, a préféré ascensionner le Géant via Malaucène, plutôt que de faire une petite balade en VTT sur ses flancs en ma compagnie. Peu importe, je suis un adepte de l'effort solitaire. Quand tu te retrouves tout seul avec ton petit vélo face à la montagne pour la première fois, tu te sens quand même un peu tout nu. Et là, tout d'un coup, comme par magie, tu n'es plus seul, lorsque tu longes les murs du camp naturiste de Bélézy. Sur le GR91 au départ de Bédoin, pas un seul bédouin, par contre. Ni à pied, ni en deux-roues.
Une fois déposés les Clops, ça commence à fumer sévère, avant de toussoter, puis cracher ses poumons en longeant la Combe de Mars, même quand on n'a pas touché au tabac depuis des années. C'est à ce moment précis que tu regrettes de ne pas avoir rempli ta gourde avec un peu de vin blanc du Barroux, qui ne figure pas sur la liste officielle des produits dopants. La longue montée sur chemin caillouteux se négocie difficilement, mais avec dignité. Arrivé à Mazanet, cote 869m, le plus dur reste à faire. Encore 1000 mètres de dénivelé positif jusqu'au sommet. Pas les plus faciles. Mais comment j'ai fait pour grimper jusque-là, moi, déjà, rien qu'en suçotant des berlingots et à la force de mes mollets? Courage, fuyons! Marche arrière toute, pour une descente chaotique. L'ascension ultime sera inscrite pour moi au prochain ordre du jour, finalement.
AOP Ventoux: action en hausse?
Plus grande appellation rhodanienne par sa surface, l'AOP Ventoux vit pourtant à l'écart et à l'ombre des côtes du géant du Rhône, là où l'ombre du Géant de Provence devrait plutôt la mettre en lumière. Fascinante montagne à l'atout marketing indéniable, même si ce n'est évidemment pas ce qui prime pour l'amateur de vins. À côté des coopératives qui trustaient la majorité de ce vignoble de plus de 6500 hectares, il y a une vingtaine d'années, ce sont désormais plus de 130 vignerons en cave particulière qui haussent le niveau qualitatif en même temps que celui du cours du raisin. Une dynamique bio s'est installée, s'exprimant notamment au sein d'une association: les BioVentoux. Et puis quelques francs tireurs, parfois venus d'ailleurs, contribuent au rayonnement de l'appellation. Comme Philippe Gimel au Barroux, par exemple. Ou encore Olivier B. à Méthamis.
Le Barroux, petit village médiéval situé entre Carpentras et Malaucène, entre Ventoux et Dentelles de Montmirail. C'est là que Philippe Gimel s'est posé en 2003, diplôme d'œnologie en poche, après avoir appris auprès de quelques domaines parmi les plus réputés de Rhône-Sud. Saint-Jean du Barroux est un vignoble d'un seul tenant, en terrasses, exposé nord-ouest. De la vigne, évidemment, mais aussi des genêts et des haies, pour respecter au mieux la biodiversité et l'écosystème. Et un mirabellier également, apparu spontanément dans un coin, comme pour rappeler les origines lorraines du vigneron-œnologue. Du Ventoux en dentelles, pour résumer. La particularité du Barroux, c'est la proximité de la faille de Nîmes, qui a bouleversé la géologie du lieu et favorisé l'émergence des argiles rouges du Trias, généralement enfouies à plusieurs kilomètres sous la terre des vignes de la plaine. Une mosaïque de terroirs géologiquement distincts qui, combinée aux effets de l'altitude (entre 300 et 500 mètres) et de l'exposition, donne naissance à des vins de grande expression possédant beaucoup de fraîcheur innée, qu'il faut néanmoins savoir préserver.
Le choix de Philippe Gimel s'est porté sur une sélection de raisins pour élaborer ses cuvées, positionnées dans un registre crescendo de concentration. Vendanges par tries successives, donc, qui donnent des vins d'un style plutôt riche et opulent, mais dans un souci permanent de recherche de la fraîcheur maximale, pour ne pas perdre le caractère salivant et buvable du vin. On se plaît à imaginer ce que pourrait donner une sélection parcellaire, apte à faire ressortir les caractéristiques de chaque terroir, mais ceci n'est pas d'actualité, afin de ne pas rendre trop complexe une gamme déjà largement plébiscitée par les amateurs, notamment étrangers, les premiers à avoir succombé aux charmes des vins de Saint-Jean du Barroux: La Source, L'Argile et La Pierre Noire pour les rouges, La Montagne pour le blanc.
Pour cause de tout petit volume, la Montagne 2012 (clairette et bourboulenc) a été élevée pour moitié en cuve et en fûts de plusieurs vins pour l'autre moitié. Fallait-il assembler ou pas? Cruel dilemme! Le vin de cuve, au fruité très frais, a finalement été mis en bouteilles sur son fruit. La version fût est un peu plus complexe au nez, avec des notes de malt et d'anis. Sans doute attendra-t-elle encore un peu son tour dans la barrique. 2011 est déjà en place, un beau vin qu'il faudrait savoir attendre, si l'on en juge par l'éclat du 2007, magnifique de complexité, d'arômes et de texture. Grenache blanc, clairette et bourboulenc au sommet du Ventoux! En rouge, les trois cuvées, goûtées alternativement en bouteille ou prélevées sur fût, possèdent chacune leur style, désormais bien défini. Les 2012 s'annoncent plutôt très bien, si ce n'est que les volumes seront malheureusement plutôt limités. Côté vin en bouteille actuellement commercialisé, mention particulière à la Pierre Noire 2009, au jus alliant merveilleusement richesse et fraîcheur.
Et enfin, ce Micro-climat 2011, des raisins de grenache, syrah et carignan ramassés à une maturité exceptionnelle qui donnent un vin naturellement riche, lui aussi, exceptionnel. Et ultra-confidentiel, évidemment.
Chez Olivier B., dans le petit hangar de Méthamis, acheté, agencé, rénové, isolé, la Troisième en fait des caisses. Cette syrah des Nayes en est à sa troisième édition avec le millésime 2010, comme son nom l'indique. La Quatrième et la Cinquième ne sortiront des limbes que si leur état le permet, ce qui semble en bonne voie, vu le jus qui se trouve actuellement dans les fûts. Pendant ce temps, les Amidyves continuent d'élargir leur cercle. Et ils restent fidèles en amitié, même de nombreuses années après, comme peut en témoigner ce 2002, période Cascavel, dans un registre délicatement évolué, parfaitement à point.
Ayant digéré le buzz qui lui a permis de continuer l'aventure, Olivier B., le vigneron AJT, est reparti à fond, avec dans le viseur une deuxième année consécutive "zéro traitement" à la vigne. Il va pourtant lui falloir trouver un remède à une situation sentimentale compliquée administrativement parlant, de quoi s'en casser les côtes. Comme Olivier en a sous le chapeau, gageons que cette belle histoire d'amour connaitra rapidement un dénouement heureux.
Monieux: une escapade romanesque
Faire un saut dans la Nesque fut le grand challenge pédestre de cette expédition vauclusienne, histoire de ne pas l'avoir en travers de la gorge au cas où on ne l'ait pas fait. Vingt-cinq kilomètres sans une seule âme, ou presque, entre Villes-sur-Auzon et Monieux, voilà qui n'est pas banal. Tout au plus quelque cycliste ayant bravé la pluie et le temps maussade de ce mercredi matin. Sans oublier un ou deux camping-cars belges, une fois. Un panorama à couper le souffle pendant tout le trajet, digne de celui des gorges du Verdon, culminant en face du rocher du Cire, balayé en son temps par le Mistral, Frédéric de son prénom. Parking à Monieux, joli village médiéval dont la boulangerie-épicerie est fermée le mercredi, point crucial qui mérite d'être souligné. Pas de chance! Direction le lac du Bourguet, légèrement plus petit que son quasi-homonyme savoyard, et descente le long de la Nesque, en rive gauche. Enfin, descente, façon de parler, puisque le sentier grimpe allègrement dans la forêt jusqu'au sommet des falaises bordant l'entrée des gorges. Le clou du parcours, ce sera la descente par le GR9, à flanc de falaise, jusqu'à la rivière, qu'il faudra traverser à gué. La pittoresque chapelle Saint-Michel, dont on se demande bien ce qui a pu pousser les habitants du XIIème siècle à venir l'ériger là, juste sous la falaise, s'offre alors à nos yeux ébahis et nos pieds trempés.
N'exclure aucune hypothèse, évidemment, mais n'escomptez pas faire la visite de cet édifice religieux sans un exquis mérite. Aucune excuse! Un parcours alternatif existe pourtant bel et bien, une esquive impraticable ce jour-là: suivre le cours de la rivière, généralement à sec désormais, sauf en 2013, bien entendu. La remontée s'effectue en rive droite de la Nesque, pour ceux qui ont tourné dans le sens des aiguilles d'une montre. Une remontée, que dis-je? Une escalade, presque. En surplomb de la falaise, avec moult passages rocheux en guise de bon escalier. Une escapade à déconseiller aux personnes à mobilité réduite, aux chamois paralytiques et à James Stewart dans Vertigo.
Arrivée théâtrale en Avignon
Pendant que la cour d'honneur du Palais des Papes se prépare à résonner au son des tirades du gratin du théâtre contemporain, les rues d'Avignon sont un spectacle permanent: celui des colleurs d'affiches de spectacles de poche plutôt off. Ça grouille, ça pose l'escabot, ça grimpe, ça s'engueule, ça arrache les affiches des autres, quand elles viennent empiéter sur celles des uns, ça vit au diapason du grand théâtre de la vie. Le temps d'une promenade papale et d'une bière sur le parvis du palais, direction Verquières, pour nourrir le ventre autant que l'esprit. Et, surtout, en croquer méchamment! Du chou, mais pas que.
Le Croque-Chou, à Verquières, presque une institution. Une affaire de famille, en tout cas, avec Sébastien Folz au piano, Monique et Daniel Folz en salle.
Des produits frais de premier choix, une cuisson impeccable, des plats justes et précis, une carte des vins pléthorique et judicieuse, faisant la part belle aux beaux et bons vignerons, un cadre agréable avec terrasse donnant sur l'église du village. L'assurance d'être absous du péché de bonne chère, c'est certain.
La trilogie d'œufs à la coque revisités, c'est un grand classique de la maison. Les accompagnements varient, suivant la saison. Dommage que celle de la truffe soit derrière nous, même si écrevisses et asperges ont bien joué leur rôle. Un délice de saveurs et de textures!
La côte de taureau, elle vient de Camargue, maturée à souhait et cuite à la perfection, le Petit Taureau, il vient du Roussillon, maturé à souhait et élevé à la perfection également. L'accord camargo-catalan est quasi fusionnel, olé! De quoi cloturer en beauté ce séjour au pied du Ventoux, qui devrait en appeler d'autres, j'en ai bien peur!
Olif
P.S.: le Tour de France au Ventoux, c'est aujourd'hui. Comme un petit relent de vacances...
P.S.2: les vacances, ce n'est pas encore fini, enfin pas pour tout le monde. Mais il y a un peu de devoirs de vacances à faire, quand même, grâce à André Deyrieux, œnotouriste toute l'année, quel beau métier!