Sur la tête du Géant
Pour certains, l'origine pyrénéenne du Mont Ventoux ne fait aucun doute. Né bien avant les Alpes, suite au plissement pyrénéo-provençal dont il possède le grand axe, il n'aurait fait qu'être réhaussé et légèrement retravaillé par l'émergence alpine. Il faut bien reconnaître qu'il en impose, détonnant presque dans le paysage des Pré-Alpes du Haut-Vaucluse. Un terroir exceptionnel, aride, drainant, avec des coteaux très pentus. Un climat idéal, ensoleillé et venté, frais la nuit, peu propice au développemant de la maladie. Le seul petit problème, de taille, c'est qu'au sommet du Mont Ventoux, rien ne pousse, en dehors de spectateurs acharnés prenant pitié de cyclistes un peu moins chargés que les autres, à la peine dans les dernières rampes de l'ascension. Sur la tête du Géant provençal, à 1909 mètres d'altitude, pas plus de ceps de vignes que de bouclettes sur le crâne d'un calvitien précoce. Uniquement de grosses pellicules calcaires, encore une histoire de lutte des clastes, à force de gel et de dégel.
Les vignes, elles sont restées au pied, un peu plus bas, à une altitude respectable pour du vignoble. Au sud, du côté de Méthamis, on ne trouve quasiment que des raisins de table. Certains terroirs pourraient peut-être mériter la cuve, pourtant. Faudrait voir... Ce jour-là, comme un fait exprès, c'était le gros cirque à Méthamis! Un tout petit chapiteau de passage, mais les camions et les caravanes bloquaient la route d'accès au désormais célèbre petit hangar de vinification où j'avais rendez-vous avec un vigneron AJT. La tête sur les épaules et le chapeau bien vissé sur la tête, Olivier B. n'a rien d'un géant. Il émerge d'un rêve qu'il a pourtant vécu bien éveillé et n'aspire désormais plus qu'à retrouver un anonymat qui lui sied bien. "Je n'ai plus envie de voir ma tronche et mon nom dans les médias, je veux redevenir anonyme, dans l'ombre, de profil, juste Olivier B.". B. pour bagout, très certainement. Parce qu'il est volubile, Olivier.
Musique! Le premier réflexe après avoir ouvert la porte du hangar. Yves Jamait, forcément, indissociable désormais du vigneron AJT.
On goûte deux ou trois blancs au fût (dont l'oxydative et imprévisible cuvée Jade, vendangée toujours le même jour, quoi qu'il arrive, encore en kit et assemblée à la pipette dans une éprouvette), on papote. Jamait joue toujours dans le poste. Et puis il y a les rouges, qui n'en font un peu qu'à leur tête, mais ça y est. Le grenache 2009 est reparti à bloublouter. Il va y avoir un peu de boulot de mise en bouteilles dans quelque temps, parce qu'un troisième millésime ne tiendra pas dans ce petit hangar de vinif. Le vin de hangar, un nouveau concept très système D, très système B.. Les vins se goûtent plutôt bien d'une manière générale, fruit en avant, beaux tanins soyeux et frais. La palme à la future Deuxième, millésime 2009, une splendide syrah des Nayes qui devrait faire causer d'elle dans quelque temps. Il n'aurait plus manqué que ça Nayes pas! Pour y goûter, il ne faudra pas être le dernier, quantités limitées. Le karma depuis le début de l'année est trop bon, l'horizon d'Olivier se dégage un peu, le Ventoux est toujours inscrit dans son paysage, l'avenir proche n'est plus aussi incertain. Il y aura bien du 2011 des Amidyves, un millésime pour l'instant "zéro traitement". Le pari est en passe d'être gagné, chaleur et mistral étant arrivés à point pour sécher les vignes de ce printemps exceptionnellement et anormalement pluvieux dans le sud de la vallée du Rhône.
Après ce tour de hangar, direction Villes sur Auzon, où Les Vins d'Olivier B. ont pignon sur rue. Une boutique à la déco bien dans l'esprit et à la sonorisation adéquat. À Jamait, pour toujours. Ambiance provençale autour d'un tonneau, sur le trottoir, sous un platane. Dégustation apéritive et aérée des vins en bouteilles: les Amidyves 2007 toujours aussi sensuel, 2008, plus végétal et moins chaleureux, pinoterait presque.
Flash-back. La veille, ça m'aurait donc vraiment fait mal au sein de ne pas escalader le Géant. Via Malaucène. La foule m'attendait au sommet, forcément, par un temps pareil. Beaucoup de bédouins, entassés au balcon, quand ils ne faisaient pas la montée en vélo, avec plus ou moins de bonheur. Descente tout schuss par Bédoin, la plus raide à ce qu'il paraît, avant le ravitaillement à Carpentras, Chez Serge, l'adresse à ne pas manquer au pays du berlingot. La truffe et le Ventoux y sont à l'honneur. Petit retard à l'allumage au service, frôlant la double faute, mais ça s'est arrangé par la suite. Ça valait le coup de patienter.
Menu truffes et Oligocène 2005 de Philippe Gimel, du domaine Saint-Jean du Barroux. L'osmose parfaite et non pas l'inverse. Avec l'Oligo, belle entrée en cène pour copuler avec la truffe. La puissance massive du géant et la délicate dentelle du Montmirail. Comme sur le dessin de l'étiquette, judicieusement stylisée.
Maintenant, j'en suis convaincu, le Ventoux, ce n'est pas que du vent. Là-bas, il y a tout. Et pas que des cyclistes, il y a aussi du vin et des truffes. Pas la peine de chercher des poux sur la tête du Géant...
Olif