REVEVIN 2010: Le Savagnin dans tous ses états, la dégustation
Du savagnin plein les verres. Exclusivement, même. Le regard crispé de certains des courageux participants pouvait faire croire que l'on s'apprêtait à tourner un remake de Fear factor, mais la peur laissa progressivement la place à l'ébahissement et au plaisir au bout de quelques verres. Enfin, j'ose le supposer, personne n'avait de revolver sur la tempe. Les vins ont été servis, généralement par deux, dévoilés en plusieurs temps afin d'apporter les précisions nécessaires à la compréhension de chaque série. J'étais le seul à connaitre l'ordre de service et les vins dégustés, évidemment.
Mise en bouche
- Arbois Traminer 2006 Stéphane Tissot en 2 services, bouché à vis et bouché liège, sur le même millésime : une vision particulière du savagnin, voulue par Stéphane Tissot. Élevage court, en cuve, pour préserver le fruit et les arômes primaires du cépage. Destiné à une consommation rapide, même si une conservation est possible quelques années, il a été bouché à vis depuis 2006, parallèlement au bouchage classique. Le vin bouché liège semble plus fruité et épanoui. Simple et direct, il est plaisant mais un peu alangui en bouche. Le vin à capsule fleure une petite réduction. Légèrement pétrolé, il est tonique et vif, se révélant au contact de l'air. A mon sens, le bouchage à vis s'avère supérieur, en terme de vieillissement sur ce type de vin destiné à être immédiat, préservant mieux la tonicité et la nervosité. L'avis ne fut pas unanime, mais juste majoritaire. Les deux bouteilles ont leur intérêt, mais, dorénavant, il est fort probable que l'intégralité du Traminer soit bouchée à vis. C'est en tout cas ce que souhaite Stéphane.
- Savagnin du Domaine Macle, prélevé sur fût, destiné à du Château Chalon, en 2 services sur 2 millésimes, 2008 et 2005: deux futurs Château Chalon qui ne le sont encore pas. Ou la perception du basculement vers un autre monde, celui de l'oxydatif. Ce type de dégustation de deux savagnins en cours de vieillissement est toujours un moment d'exception, à apprécier religieusement. Le 2008 est encore fermé et peu expressif au nez. Le pamplemousse s'éloigne pour laisser apparaître des épices. La structure du vin est déjà en place, en filigrane. 2005 fait voyager dans l'autre dimension. Ça y'est, le voile fait son effet. La noix verte est apparue, le curry également, un petit peu. La bouche est profonde et dense, développant déjà une pointe de gras, avant de se fondre dans une finale immense et persistante. Un grand Château Chalon en perspective.
Savagnins ouillés
Le Païen, cépage valaisan, n'est autre que le savagnin blanc jurassien. Il est classiquement élevé avec ouillage, même si certains tentent des essais de voile dans un but purement expérimental. Dans le Haut Valais, il prend le nom de Heida. Ces deux pirates, qui vont ouvrir le bal de la série des savagnins ouillés, ont été sélectionnées par Laurent « Vins-Confédérés » Probst et ont joué leur rôle à la perfection, ne venant même pas semer le trouble dans l'esprit des Revevineurs.
- Heida 2008, Collection Chandra Kurt, Cave de Provins, Valais : cette cuvée est vinifiée par Madeleine Gay, l'œnologue-vedette de la cave de Provins-Valais. Nez plutôt floral et discret, bouche simple, sapide et fraîche. Une jolie entrée en matière, tout en délicatesse.
- Païen 2008, La Cave à Polyte, Valais: nez ouvert, épicé, sur des notes de céleri en branches. Décoiffant! La bouche est vive, développant de l'acidulé qui termine sur une pointe d'amertume. Aromatique particulière (levurage?) et structure pas complètement en place, mais un vin intéressant.
- Arbois Savagnin 2006 et 2008 (prélevé sur fût), Domaine de l'Octavin : deux cuvées de savagnin ouillé d'un jeune domaine jurassien extrêmement prometteur, à comparer, pour juger des progrès en matière de vinification (entre 2006 et 2008, évolution vers la biodynamie et plus de naturels dans les vins). 2008 possède tension, acidulé et vivacité, mais ne s'exprime encore que très peu dans le verre. L'élevage devrait lui amener de la complexité. 2006 possède du gras et de l'onctuosité, avec une belle minéralité jurassienne sous-jacente, mais manque à peine de nerf en finale.
- Côtes du Jura Novelin 2006, La Maison de Rose : un joli savagnin ouillé d'un fort sympathique domaine situé à Saint-Lothain, au Sud de Poligny, qui travaille chardonnay et savagnin dans le même esprit de fraîcheur. Ce 2006 est à point, floral avec un zeste d'épices et une pointe de massepain.
- Côtes du Jura Savagnin Chalasses Marnes bleues 2006, Jean-François Ganevat : une référence dans le landerneau jurassien, en matière de vins ouillés. Le Chardonnay des Chalasses est un must, le Savagnin l'est tout autant, grâce à la présence de ces marnes bleues si caractéristiques et propices au bon développement du savagnin. Une grande cuvée, qui se goûte au top, avec toujours autant d'acidité directrice et de droiture. Un modèle du genre!
- Côtes du Jura Fleur de Savagnin 2001, Collectif Labet : une cuvée désormais classique de ce domaine, qui est plutôt réputé dans les sélections parcellaires ouillées de Chardonnay. Le Savagnin a aussi grandement sa place en Sud-Revermont, le terroir s'y prête. La robe est dorée, le nez est complexe, iodé, sur la cire et les épices. Une bouteille à boire, parvenue à maturité, qui garde encore de la fraicheur.
Vieux Savagnins ouillés
- Côtes du Jura Savagnin 2001 ouillé 6 ans, Collectif Labet : un collector, totalement épuisé au domaine. Le même que précédemment, si ce n'est qu'il a vieilli 6 ans en fût plutôt qu'en bouteille. Le nez est plus miellé, marqué encaustique, avec un séduisant côté "vieux chardonnay". L'attaque est plutôt doucereuse, puis développe de l'amplitude, s'élargit et persiste longuement.
- Arbois-Pupillin Savagnin 2003, Domaine Overnoy-Houillon : le domaine de référence en matière de vieux savagnins ouillés, sur un millésime très particulier. Où l'on devrait découvrir que la canicule n'a que très peu affecté les sols jurassiens marneux, l'élevage long permettant en outre un affinage de l'alcool. Premier nez champignonneux, faisant craindre une déviance liégeuse. En bouche, noix, épices, et toujours cette petite sensation "liège". La structure du vin me parait altérée, ne ressemblant nullement à la précédente bouteille dégustée. Aurait-il été frappé de savagninite aigüe?
- Côtes du Jura 1999 Les Vignes de mon père, Jean-François Ganevat : 9 années d'ouillage pour acquérir une complexité digne d'un Jaune. Vive l'élevage long, même s'il est encore légèrement perceptible au nez. La bouche est fraîche, riche, immense, puissante et longue, très épicée. Magnifique!
Savagnins sous voile
- Côtes du Jura 2007, Clos des Grives : un savagnin classique, élevé sous voile. Vignoble du Sud-Revermont, culture bio certifiée depuis de nombreuses années. D'expression classique, sur la noix verte. Pas immensément complexe, mais agréable.
- Arbois Soliste 2004, Jean-Marc Brignot : le premier millésime de Jean-Marc Brignot, qui découvrait à la fois ce cépage et le voile. Élevage d'un an en cuve sous voile, sans soufre. Nez oxydatif très fin, gardant du fruit. Bouche fine et élégante, juteuse et fraiche, persistante. Un savagnin oxydatif tout en dentelle. J'adore.
Vins jaunes
- Arbois Vin Jaune 2003 Les Bruyères et Arbois Vin Jaune 2003 En Spois, Stéphane Tissot : les premiers Vins Jaunes de terroir, par Stéphane Tissot. Une approche de la finesse du Jaune dans un essai de hiérarchisation et de différenciation des terroirs à oxydatifs. En Spois toujours plus rond et immédiat, Les Bruyères tourbé et fumé, plus large et riche en alcool.
- Château Chalon 2003, Domaine Macle : le dernier-né de Château Chalon, en avant-première (ou presque) sur la croisette de Saint-Jean. Tout jeune, presque bébé, il est plutôt sphérique, très rond en attaque, avec une relative fraicheur.
- Arbois Vin Jaune 2000, Michel Gahier : un Jaune d'Arbois dans un style classiquement différent de celui de Château Chalon, mais s'exprimant ici dans un registre plutôt fin. Miel, épices, après une fugace note de croûte de fromage. Long, persistant et très agréable. Il a déjà du répondant et devrait franchir les années sans trop de peine.
- Arbois vin jaune cuvé 1992, Stéphane Tissot : une version « cuvée » d'un savagnin, dont les raisins ont été laissés à macérer dans le jus comme s'il s'agissait au départ d'un vin rouge, à la façon ancestrale de certains vins italiens (type Radikon). Ensuite, élevage classique sous voile pendant 6 ans. Rien à voir avec un Jaune traditionnel. Avant tout un vin blanc « cuvé », avec cette sensation tannique si particulière ! Et une jolie couleur orangée. Fin et complexe, immensément bon.
Savagnin surmaturé
- Arbois Solstice 2003, Domaine de la Tournelle, Evelyne et Pascal Clairet : un savagnin ouillé en surmaturation, vinifié en principe en sec. En 2003, il reste 42g de sucre résiduel, du fait de la richesse du millésime. Pourtant, il goûte sec, ayant commencé à manger les sucres qui lui restent. Equilibre entre deux, lié au millésime, pas complètement convaincant.
Savagnins avec sucres résiduels
- L'école Buissonnière 2008, La Maison de Rose, Vin de Table : vendange tardive de Savagnin à l'équilibre demi-sec plutôt aérien. La robe est très claire, l'acidulé bien développé. Un vin séducteur, de pur plaisir.
- Arbois-Pupillin 2007 L'ivresse de Noé, Philippe Bornard : vendange tardive de novembre à l'équilibre demi-sec léger, avec une pointe d'acidité.
- Arbois-Pupillin 1998, Philippe Bornard : une bouteille de derrière les fagots, vendange tardive de savagnin élevée sous voile pendant 8 ans et jamais commercialisée. Un équilibre irréel et improbable, entre sucre et oxydation. Le nez est complexe, sur la croûte de fromage et les raisins de Corinthe. Bouche arrondie par l'alcool, oxydative mais bien en place.
- Arbois Mélodie 2004, Stéphane Tissot : Savagnin de glace récolté en 2004, au mois de décembre, par -11°C. Une véritable curiosité à découvrir, que j'ai la chance de suivre depuis son berceau. L'évolution est à la hauteur de ce que j'ai pu goûter dans sa jeunesse. On y retrouve de subtiles notes de clou de girofle qui ponctuent un équilibre magique, sur la tension acidulée.
- SulQ 2002, Jean-François Ganevat, Vin de Table : sélection de Grains Nobles de Savagnin récoltés en décembre 2002. Les millésimes récents ont été réalisés en assemblage avec des vieux cépages oubliés et ne sont donc plus un vin de pur savagnin. Une bouteille collector, un liquoreux ultra-concentré réservé aux gourmands, qui sait préserver son petit coin de fraîcheur. Exceptionnel!
Savagnins avec bulles
- Ça va bien, Philippe Bornard : pétillant naturel à base de savagnin, des bulles acidulées pour se refaire le palais. Festif, sur des notes de pomme et d'épices, avec un côté très rafraichissant. Ben oui, après ça, ça va bien.
Voilà pour un aperçu volontairement sélectif, mais que j'espère représentatif des potentialités et de la valeur du Savagnin, un cépage à découvrir sans restriction ni modération.
Un grand merci aux vignerons sollicités, qui ont tous répondu présent avec générosité, ainsi qu'à Laurent Probst, de Vins-confédérés pour sa contribution courageuse autant que désintéressée, et au CIVJ, pour avoir gracieusement fourni toute une documentation à l'intention des participants. Quelques bouteilles proviennent également de ma cave personnelle, soit parce qu'elles étaient épuisées au domaine, soit parce que je n'ai pas eu la possibilité matérielle de passer récupérer auprès des vignerons les échantillons promis.
Olif