L'abbaye de Marbach se situe un peu plus au nord que celle de Murbach, au pied du Grand Ballon de Guebwiller. Il est probable que, dans des temps immémoriaux, il en existait une troisième, à Morbach, au pied du Mont de Vénus, avant qu'il ne soit rasé et prenne le nom de Sainte-Odile. L'ancienne abbaye de Marbach, entre Husseren-les-Châteaux (3 mais en fait 5, finalement "les", comprend qui peut!) et Obermorschwir, s'est transformée, le temps d'un week-end, en temple des vins natures, grâce à l'abnégation de 4 vignerons alsaciens épris de liberté (Jean-Pierre Frick, Christian Binner, Bruno Schueller et Patrick Meyer). Un lieu de méditation où les cierges ont eu tendance à brûler par les deux bouts, surtout après envahissement par une horde de boit-sans-soif avides de naturel. Cette biennale, inaugurée il y a deux ans chez Christian Binner, a vu plus grand cette année, avec le soutien total et indéfectible de l'AVN, l'association qui donne du plaisir là où il y a à boire du bon vin naturel, en se délocalisant dans un lieu vaste et idyllique, perdu au milieu de nulle part, où l'on pouvait entendre s'ouvrir, librement et sans contrainte, aussi bien une douzaine d'huitres de Blainville, élevées en pleine mer par Cyril Hess, que deux douzaines de bouteilles d'Edelzwicker 2009 100% nature de Bruno Schueller.
Arrivés à l'heure du repas le samedi, c'est à table qu'il fallait se rendre, la majorité des vignerons- exposants ayant déserté leur stand pour la cantine.
Du blanc avec les huîtres pour débuter, donc, mais aussi du rouge, de manière improvisée. Un verre de Cornas 1999 sans soufre de Thierry Allemand, ça ne se refuse pas. Il fallait juste se trouver au bon endroit, au bon moment. Et tant pis si ça ne s'accorde pas avec les huîtres.
Une fois rassasiés, c'est le début de l'immersion complète en milieu peu ou pas sulfité. Des vins libres loin d'être tous sauvages, contrairement à bien des idées reçues.
Libres, les vins d'
Estelle et Cyrille Bongiraud! Qui d'ailleurs a dit que les vins serbes étaient acerbes? Pas ceux de la
Fransuska vinaria, en tout cas. Un véritable bain de jouvence et une aventure humaine de tout premier plan, pour ces Bourguignons enthousiastes et communicatifs, volontairement expatriés dans les Balkans, à la recherche d'un vignoble perdu et en quête d'excellence. De par l'originalité des vieux cépages locaux aux noms imprononçables et la qualité d'une belle variante épicée de Gamay, voilà une vraie belle découverte.
Libres aussi, les vins de
la Grapperie, de
Renaud Guettier. Majoritairement Chenin ou Aunis du Vendômois. Le flash angevin du début d'année s'est concrétisé en Alsace. Avec un gros coup de cœur pour
Adonis 2008, un
Côteau du Loir qui ne s'endort pas sur son brin de laurier. 100% Pineau d'Aunis, j'adore Adonis. Pas eu la possibilité d'en emporter quelques échantillons, le vigneron ayant joué les prolongations à la cantine le dimanche après-midi.
On ne peut plus libérés, les vins du Matin Calme ou encore ceux de Patrick Meyer, encore fatigué de son rôle de serveur la veille, ce qui nous a valu la chance de bénéficier du sourire de Mireille lors de la présentation des vins du domaine. Encore meilleur, je dirais!
Totalement débridés, les vins d'Alsace de Bruno Schueller, dont un splendide Riesling Pfersigberg 2007 et un remarquable Gewurtztraminer VT qui vous ferait presque adorer le cépage de manière inconditionnelle.
Complètement free, les Minervois de Jean-Baptiste Sénat, que Charlotte se désespérait de vendre aux mangeurs de choucroute. Changer l'Aude en vin, c'est bien, mais en bière, c'est plus difficile!
Bien loin de la prison soufrée, les vins de Gilles et Catherine Vergé, aériens, minéraux et digestes. T'inquiètes M'man, continue de lui souffler à l'oreille son Jean-Marie de fils qui vogue joliment de ses propres ailes en Beaujolais, avec cette cuvée également libérée de toute contrainte soufrée.
Et puis également tant d'autres, libres comme l'air, à l'image de leurs géniteurs: René Mosse, Evelyne et Pascal Clairet, Emile Hérédia, Philippe Valette, Frédéric Gounand, Dominique Derain, Loïc Roure, Jean-Louis Tribouley...
Le soir, c'était la piste à l'étoilé, les jardins de la terre sous chapiteau.
Thierry Schwartz, du
Bistro des Saveurs d'
Obernai, avait concocté un giga menu gastronomique pour 300 couverts, servi efficacement par des occasionnels, bénévoles ou co-organisateurs, drivés à la baguette par la maitresse de maison et de tente pour l'occasion. Avant quelques averses au dessus de la toile, ce sont les vignerons qui ont rincé en dessous, dans une ambiance de Paulée murisaltienne, en plus libérée et plus nature. Les bouteilles ont circulé sur les tables, certaines planquées par dessous, et il fallait jouer du coude pour se procurer un soupçon de
Cornas 2006 Chaillots de
Thierry Allemand ou une larme de
Pfersigberg cuvée H 2001 de
Bruno Schueller. Sur l'assiette, l'huitre en deux services, iodée et végétale, épata. La Rouge de Heiligenstein cuite en croûte de sel m'a fait oublier que, d'une manière générale, je n'aime guère la betterave. Le spaghetti de veau se les roulait façon Kebab. Le cake à la carotte fut un régal, trempé dans le caramel au beurre salé. Joli menu, en vérité, véritable prouesse technique à servir à temps pour autant de convives, magnifiquement agrémenté des meilleurs vins qui vont avec.
Le genre de salon qui vous fait briller les pupilles, reluire les papilles ... et pousser des tulipes plein la tête.
Olif