Mordorée adorée...
Le vin de Tavel, Rhône méridional, a la réputation d'être le meilleur rosé de France. Ni eau de Javel, ni désinfectant à l'eau de rose, il allie -en principe- la finesse et la délicatesse d'un rosé à la vinosité d'un vin rouge.
Le domaine de la Mordorée est situé à Tavel même. Son nom vient d'un des surnoms donnés à la bécasse, joli et goûteux petit oiseau migrateur qui se chasse à l'arrêt. Les vins du domaine de la Mordorée se boivent également à l'arrêt, car il faut prendre le temps de les déguster. Un chien d'arrêt couché à ses pieds n'est toutefois pas une nécessité, même s'il peut tenir chaud et/ou éloigner les gêneurs qui tenteraient de s'approcher de l'une ou l'autre des bouteilles sans y avoir été invités.
La première caractéristique des vins du domaine de la Mordorée est de porter un nom de cuvée qui rappelle la bécasse. Dame rousse pour les cuvées AOC dites d'entrée de gamme, Reine des Bois pour les cuvées AOC les plus prestigieuses. Si ce n'est pas de la suite dans les idées, ça! Seules exceptions à la règle, la cuvée de Châteauneuf du Pape "très haut de gamme", baptisée "La plume du peintre" et qui n'est produite que lors des grands millésimes, et la série des Vins de France, plus connus sous le nom de "La Remise". Sur chaque étiquette, on retrouve néanmoins une bécasse en vol, un miroir probablement posé au sol.
La deuxième grande caractéristique des vins de la Mordorée est d'avoir des reflets dorés. Blanc doré pour le blanc (ça tire légèrement sur le vert, d'accord!), rose doré pour les vins rosés, rouge doré pour les vins rouges (mais, en rouge, ça ne se voit pas bien sur la photo). On ne peut pas faire plus simple pour s'y retrouver.
Gentiment attaquée par les vins de la Remise, cette quasi intégrale de la production du domaine s'est déroulée sur plusieurs jours pour ne pas dire semaines. Bouteilles dégustées à visage découvert, seules puis en accompagnement d'un repas, généralement sur plusieurs jours. Beaucoup de boulot, donc, mais plaisir proportionnel. La Remise, c'est un assemblage Merlot-Marselan. Ce Marselan m'harcelant, comprend qui peut, Google m'est venu en aide. Issu d'un croisement entre le cabernet sauvignon et le grenache noir, son assemblage avec le merlot n'a rien de surprenant puisqu'ils mûrissent ensemble. Le rosé 2010 est direct et franc, droit et rafraichissant. Le rouge 2009 a des épaules de camionneur, qui les roule en marcel, mais un galbe du biceps bien arrondi et beaucoup de fruit en bouche.
"La dame rousse" se décline sur toutes les appellations. Le Côtes du Rhône associe majoritairement syrah et grenache, ce qui lui donne un air rhodanien plus évident. Le rosé 2010 est très vineux, mais avec de l'acidulé et de la fraicheur. Une belle bouteille pour les tables d'été. Le rouge 2010 possède un joli grain à peine serré, de la sève de jolis tanins frais sur des arômes de petits fruits noirs. "La dame rousse" emballe aussi la cuvée de Lirac 2009 de son joli plumage tannique et de ses arômes de mûre et de myrtille. C'est frais, non pesant, réjouissant. Un très joli vin. Tavel 2010, c'est le must des 3 cuvées de rosé. Robe groseille, bouche vineuse, fraiche, fine et élégante, légèrement épicée
Après la dame rousse, place à la Reine des bois. Lirac et Châteauneuf ont droit au plus noble surnom de la bécasse. Le Lirac blanc 2010, assemblage de marsanne, roussane et viognier, exhale toute la fraicheur du Rhône sud. Oui, c'est possible. Aromatique de fruits blancs en avant, il réussit la prouesse d'être à la fois riche et frais en même temps. Le Lirac rouge 2009 est un petit bijou au grain serré, très fin, qui s'épanouit à l'aération. Les fruits noirs explosent, juste soulignés par un léger boisé non obnubilant. Un vin pour gourmand, qu'il faudrait pouvoir attendre, mais à quoi bon? C'est déjà si bon! Finalement, c'est le Châteauneuf du Pape 2009 qui me laissera sur ma faim. Ou plutôt qui la rassasiera trop vite. On retrouve au nez la patte de la Mordorée, avec cette jolie aromatique de fruits noirs, des tanins frais en bouche, mais la fraicheur laisse vite la place à des notes toastées et crémeuses, finissant sur l'amertume. Seulement 30% de fût, pourtant... Mais ça marque! Un peu too much pour moi, sa Sainteté, même s'il a forcément besoin de temps. La seule bouteille qui ne fut pas complètement vidée, même sur plusieurs jours, si ce n'est pas misère...
Olif
P.S.: la saison des salons de printemps tire gentiment à sa fin, mais il reste néanmoins quelques rencontres à se mettre sous la dent pour agrémenter les week-ends. Le prochain sera l'occasion pour les gens de l'Est de venir à la rencontre de Catherine Bernard, de ses vins et de son livre. Tout d'abord le 7 mai à Besançon, là où les Gourmands lisent, puis à Marnay, là où la cave se rebiffe.
Début juin, les 5 et 6, le vin nature rencontre la bière Cantillon et ça devrait faire des étincelles chez Hans Dussellier. Des vignerons de poids à Aalter, avant une tite mousse, mais pas n'importe laquelle. Il y a des jours où on demanderait bien l'asile politique à la Belgique, même sans gouvernement!
Les 11 et 12 juin, les Jeunes vignerons d'Europe se rejoindront à Metz pour présenter leurs vins à des Lorrains qui devraient être aux anges. Cette association, développée à l'initiative (entre autres) de Raphaël Gonzales, installé au Clos des Cîmes (Rhône Sud), rassemble de jeunes vignerons d'Europe (comme son nom l'indique) qui ont créé ou repris un domaine de façon récente. On pourra déguster avec plaisir sur le parvis de la cathédrale de Metz les Bergerac de Mathias Marquet (du Château Lestignac), les Beaujolais de Paul-Henri Thillardon et les Arbois de Patrice Hugues-Béguet, mais aussi plein d'autres vins de jeunes vignerons très certainement prometteurs s'ils sont du même acabit que ceux-là, mais je ne les connais pas (encore).